Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/801

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est-à-dire au peuple tout entier. À qui convient-il d’en déléguer l’exercice, quelles conditions faut-il mettre à un mandat de cette espèce, voilà ce qui nous reste à examiner en comparant ce que font les Anglais et les Américains.


II

La constitution d’Angleterre n’est point écrite ; il faut entendre par là qu’elle n’a pas été promulguée d’un seul coup, et qu’il n’en existe point de rédaction officielle. De même que la constitution de Rome républicaine, elle repose sur de vieilles coutumes, sur d’antiques usages, plus d’une fois consacrés et rajeunis par des précédens législatifs ou judiciaires. Parmi ces précédens, il suffira de citer la grande-charte, trente fois confirmée par les Plantagenets et les Tudors, la pétition des droits adressée par le parlement à Charles Ier, la déclaration des droits faite par le parlement à la veille de la restauration, l’acte d’habeas corpus passé dans la trente et unième année du règne de Charles II, et enfin l’acte de settlement, qui en 1689 plaça la couronne sur la tête de Guillaume et de Marie aux conditions prescrites par les représentans du peuple anglais. Pour n’être pas rédigée en articles numérotés, la constitution d’Angleterre n’est donc pas moins certaine que nos pactes modernes ; mais en outre elle a sur ces derniers cet incomparable avantage qu’elle est écrite au cœur des Anglais. Tandis que nos constructions éphémères s’écroulent au premier souffle du vent, sans que personne s’en inquiète, tout Anglais est heureux et fier de réparer et de rajeunir ces remparts gothiques qui ont abrité les pères et qui protègent les enfans. Fidèles aux traditions du moyen âge, les politiques anglais ont le respect de la coutume, tout en la modifiant chaque jour par une infusion de l’esprit nouveau, — ils n’ont aucun goût pour la codification qui pétrifie les lois ; ils veulent que dans leurs institutions tout se fasse par développement, par accroissement intérieur, comme dans la nature, et qu’on n’y sente pas la main des hommes. Entrer dans l’examen de cette doctrine nous mènerait trop loin, il suffit de constater le fait ; nous en verrons bientôt les avantages.

À qui appartient-il d’entretenir ce vieil édifice politique ? Au parlement. C’est un droit que personne ne lui conteste. Il peut, quand il lui semble bon, toucher à l’une ou à l’autre de ces libertés qui, réunies en faisceau, forment ce qu’on appelle la constitution d’Angleterre. C’est un adage souvent répété de l’autre côté du détroit que le parlement peut tout faire, excepté d’un homme une femme, et d’une femme un homme. Nos Français, qui vont toujours aux