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extrêmes, en ont conclu que le pouvoir constitutionnel du parlement est illimité ; il est douteux que nos voisins acceptent la rigueur de ce raisonnement.

On ne s’en est pas tenu à une conclusion théorique ; cette facilité de réforme a séduit quelques-uns de nos publicistes, et non pas les moins ingénieux. On s’est demandé si ce n’était point une chimère que de distinguer entre la constitution et les lois ordinaires. A quoi bon établir à part ce pouvoir constituant, qui trouble et menace tous les autres ? Ne serait-il pas plus simple et plus sage de suivre l’exemple de l’Angleterre, et en temps ordinaire de laisser aux chambres et au chef de l’état le droit de modifier la constitution d’un commun accord ?

Ceux qui ont soutenu cette thèse se sont laissé prendre aux apparences. C’est surtout à propos de l’Angleterre qu’il est vrai de dire que ce qu’on ne voit pas est plus important que ce qu’on voit. Entre les idées constitutionnelles, les habitudes législatives, les mœurs politiques des Anglais et des Français, il y a une opposition si tranchée que toute imitation est trompeuse et stérile. En 1814, la charte a créé une pairie héréditaire ; a-t-on rien eu qui ressemblât à la chambre des lords ? Aujourd’hui ne serait-on pas le jouet d’une illusion de même espèce ? On voit dans la Grande-Bretagne une constitution et un parlement, on ne sent pas qu’ils n’ont de commun que le nom avec la constitution et le parlement de la France ; la ressemblance du titre nous abuse : nous nous croyons logiciens en raisonnant sur des mots, sans nous apercevoir que, si ces mots ont la même forme dans les deux pays, ils n’ont pas le même sens.

Depuis quatre-vingts ans, la France a eu onze constitutions, qui l’ont fait passer brusquement de la servitude à la liberté, de la liberté à la servitude. Qu’est-ce que toutes ces constitutions ? Des programmes que le gouvernement offre à la nation, ou que le législateur populaire impose au gouvernement, — des promesses plus que des droits. En Angleterre, la constitution, œuvre des siècles, est aussi ancienne que le peuple même. C’est l’ensemble des libertés dont jouissent les Anglais depuis un temps immémorial, libertés qui ont leur racine dans les coutumes anglo-saxonnes, comme le jury, ou dans les usages féodaux, comme le parlement et le vote de l’impôt. Plus d’une fois ces diverses libertés ont été envahies par les rois, il a fallu de longs efforts pour les reconquérir ; mais jamais le peuple anglais n’a cessé de les regarder comme son héritage, jamais il n’a laissé prescrire ses droits. Le fameux cri : nolumus leges Angliœ mutari, est la forme énergique de cette revendication. C’est ce qui explique l’esprit conservateur des Anglais ; leur tradition est