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de suite des profits qui seront comptés en argent ! On devine que le ministre ne songeait qu’aux applications de la science à l’industrie et peut-être à l’agriculture. Par bonheur, de plus hautes pensées ne sont pas encore absolument éteintes dans notre pays. Ce qui élargit la sphère d’activité de l’esprit, ce qui élève l’homme, ne saurait être dédaigné chez un peuple civilisé. La science, ne dût-elle jamais servir qu’à étendre et à fortifier la puissance intellectuelle, ne pourrait pas être cultivée avec moins d’ardeur.

Si la science, comme les lettres et les beaux-arts, a le droit d’être aimée pour elle-même, elle s’enorgueillit cependant de sa mission d’améliorer le sort des hommes. La certitude que toute notion acquise conduit dans un temps plus ou moins éloigné à des applications fécondes est un encouragement pour les investigateurs ; mais trouver naturel qu’on néglige la science pour chercher exclusivement le côté pratique, n’est-ce pas croire qu’une application est réalisable avant d’avoir la science ? Si des observateurs prévoient le moment où la connaissance entière de certains phénomènes deviendra la source de nouvelles richesses, ils constatent qu’avant d’atteindre l’idéal des gens positifs de bien longues études poursuivies sans autre ambition que de découvrir des vérités seront nécessaires. En travaillant pour le progrès de la science, on agit pour l’avantage matériel des générations futures. Les physiciens du XVIIIe siècle qui étudiaient l’électricité et demeuraient ravis quand ils avaient observé de puissans effets, et Œrstedt lui-même reconnaissant en 1819 la déviation imprimée à l’aiguille aimantée, ne se doutaient pas qu’un jour, grâce à leurs travaux, le monde serait couvert d’un réseau télégraphique. En 1862, la séance annuelle des cinq académies fut pour M. Balard l’occasion de rappeler d’une façon charmante l’influence que l’étude des sciences spéculatives a exercée sur les progrès récens de l’industrie. Le savant chimiste a cité une infinité de produits qu’on venait de voir à l’exposition de Londres, dont la véritable origine remonte à des découvertes purement scientifiques. A la vue de mille objets, les uns reproduisant par la galvanoplastie les chefs-d’œuvre de l’art, les autres réalisant, par la dorure et l’argenture, la multiplication des métaux au profit de toutes les classes de la société, l’homme instruit devait songer à Volta et se souvenir des expériences d’électro-chimie de M. de La Rive. En voyant une foule d’étoffes teintes de couleurs aussi fraîches et aussi brillantes que celles des fleurs, on voulait savoir l’origine de ce beau violet, de ce rouge superbe, de ce bleu magnifique, de ce jaune éclatant, qui sous diverses combinaisons forment toutes les nuances imaginables ; le chimiste répondait : Ces couleurs si pures et si vives proviennent de la houille que vous brûlez dans vos foyers, et il énumérait les recherches qui avaient