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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/832

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— l’utilité de la comparaison, source de toutes nos idées précises, était entrevue. La grandeur intellectuelle ennoblit tellement un peuple, qu’on éprouve encore un sentiment de reconnaissance envers l’Italie pour avoir donné les premiers maîtres à la civilisation moderne ; mais c’est aussi vers l’Italie que se tourne le regard quand on veut apprendre comment une nation perd son prestige. L’école de Padoue avait au XVIe siècle un lustre incomparable ; les étrangers avides d’instruction affluaient dans la ville savante. Lorsqu’on étudie l’histoire de la découverte de la circulation du sang, on ne doute pas que le grand Harvey n’ait été heureusement inspiré en allant à Padoue chercher les leçons de l’observateur éminent qui s’appelait Fabrizio d’Acquapendente. Alors la république de Venise ne marchandait pas à la science les libéralités, et les maîtres s’acquittaient en donnant au pays une part de gloire, en y attirant la richesse. Le jour où la patrie a été troublée, on a oublié la science, et une décadence générale est survenue. Jamais on ne pourra trop méditer sur un tel exemple.

Le besoin de connaître, l’amour de la vérité, le goût du beau, avaient passé ailleurs. La France à son tour a eu des initiateurs partout honorés, et, par la multiplicité des talens, elle a exercé une puissante action sur le monde. Néanmoins elle serait bientôt humiliée, si longtemps encore elle voulait économiser sur les études de tout genre, lorsque chez des nations voisines on s’occupe avec ardeur de l’avancement des sciences et des améliorations à introduire dans l’enseignement. Ce sont là en effet deux choses maintenant inséparables. Pour que le pays accorde volontiers toutes tes ressources nécessaires à l’accomplissement de grands travaux de recherche, il faut qu’il puisse apprécier le mérite et l’utilité de pareils travaux. Autrefois les découvertes excitaient au moins la curiosité ; mais elles se sont tellement multipliées, les surprises, ont été si fréquentes, qu’on n’y a plus donné la même attention. La société n’ayant pas été appelée d’une manière générale à jouir des progrès dus à l’investigation, elle s’est désintéressée. C’est au moment où certaines connaissances scientifiques pouvaient procurer des avantages précieux dans toutes les. conditions sociales qu’elles ont été surtout repoussées d’une façon systématique dans l’instruction de la jeunesse. L’observation et l’expérience, proclamées et reconnues les seuls guides sûrs dans la pratique de toutes les affaires, ne sont jamais entrées pour une part quelconque dans l’enseignement des collèges. Ce sera une tache pour les hommes qui ont tenu en main les destinées de la nation d’avoir compromis l’avenir de tout un peuple en s’opposant aux innovations les plus nécessaires.