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périlleux, et c’était là chose aisée à exécuter en deux ou trois jours, il eût fallu des semaines à l’armée allemande avant qu’elle pût arriver à Nancy. » Et plus loin, M. de Wickede dit encore : « Il n’eût pas été impossible de faire crouler en une seule nuit, au commencement d’octobre, les tunnels mal gardés de Saverne et de Toul, de faire sauter le pont de Fontenoy et d’autres ponts, d’incendier les parcs allemands établis à Nancy, Châlons, Reims et Nogent, bref de détruire sur une vaste échelle tout le matériel, toutes les voies de communication de nos armées. Quel eût été le résultat de ce système ? Le voici : M. de Moltke était forcé de renoncer à ce plan audacieux, l’investissement de Paris avec ses 160,000 soldats, jusqu’à ce que Toul, Verdun, Langres, Phalsbourg, Montmédy, Longwy, Thionville et les autres forteresses eussent capitulé… » Combien il nous est pénible d’entendre ces révélations qui nous viennent de l’ennemi et qui accusent notre fatale imprévoyance ! Quelques solutions de continuité dans la ligne du chemin de fer de l’Est nous eussent protégés, sauvés peut-être !

Nos voies ferrées doivent donc être étudiées à ce point de vue ; il faut déterminer à l’avance les passages à intercepter, les ouvrages à détruire, le temps nécessaire pour l’opération, les moyens d’exécution les plus rapides et les plus sûrs, les autorités civiles ou militaires auxquelles seront confiés, le cas échéant, ces travaux importans de défense. Il faut en un mot, quoi qu’il en coûte, organiser la destruction pour qu’elle soit opportune et facilement réparable, pour qu’elle ne produise pas d’inutiles désastres. — Vers la fin de 1870, on a institué dans les départemens non encore envahis, mais déjà menacés, des comités de défense chargés de fortifier les points de passage ainsi que les abords des villes, et de détruire les ponts et les routes avant l’arrivée de l’ennemi. En même temps on prescrivait de faire évacuer les troupeaux et les récoltes aussitôt que les Allemands seraient proches, afin de tarir toutes les sources d’approvisionnement. Ces mesures, dont on ne saurait critiquer l’intention, étaient trop tardives ; exécutées sous le coup de la panique, elles ont eu des conséquences déplorables. Il y a tel préfet qui, dans son zèle plus ardent qu’éclairé, a fait vider tous les greniers et filer tous les troupeaux de son département, et qui a infligé par cette patriotique manœuvre les plus cruels sacrifices à ses administrés. Ailleurs on a détruit prématurément des ponts, défoncé des routes et d’humbles chemins vicinaux, multiplié la ruine sous toutes les formes. Les budgets des départemens et des communes paieront bien cher ces précautions souvent inutiles et cette rage destructive d’un patriotisme ahuri. C’est à cela qu’il importe de remédier, pour les voies ferrées comme pour le reste. Quand on saura ce qu’il est