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rationnelles et plus respectables, si l’on avait vu en même temps tous ceux qui les imposaient s’empresser de payer leur dette à la patrie et à la loi ; mais trop souvent les réclamans étaient les plus ingénieux à rechercher des emplois qui leur procuraient des dispenses légales et à s’engager dans l’administration politique pour la durée de la guerre. Quoi qu’il en soit, il convient de fixer nettement pour l’avenir les conditions auxquelles doivent être assujettis les employés et ouvriers des chemins de fer. L’organisation qui sera étudiée pourra concilier assez facilement, à ce qu’il semble, les prescriptions de la loi, qui est égale pour tous les citoyens, avec l’intérêt d’un service qui prend une part si directe aux opérations militaires. Les règlemens ainsi préparés s’exécuteront sur tous les points du territoire avec uniformité, et ils pareront aux embarras plus ou moins graves qui se sont produits pendant la dernière campagne sur certaines portions du réseau.

L’ordre dans l’aménagement des ressources matérielles n’est pas moins indispensable à la guerre que la discipline des troupes. L’ordre matériel, c’est la discipline des choses, et puisque la guerre est la destruction organisée, le devoir de ceux qui la font est de savoir détruire, de détruire à propos, autant que cela est nécessaire, et pas au-delà. Les chemins de fer fournissent, une démonstration saisissante de ce triste axiome. Autant ils servent pour porter les armées en avant et pour précipiter l’attaque, autant ils deviennent utiles dans certains cas pour retarder la marche de l’ennemi et pour protéger la défense. Que l’on coupe un pont ou un viaduc, que l’on rende un tunnel impraticable par l’éclat de la mine, que l’on enlève les rails et que l’on accumule des obstacles sur une portion de la voie, si ces opérations destructives sont bien exécutées, cela suffit pour assurer la retraite de l’armée vaincue et pour arrêter au moins pendant quelque temps l’armée d’invasion. Un écrivain militaire allemand, M. J. de Wickede, rendant compte des principaux événemens de la campagne de 1870, attribue une importance décisive à ces procédés de destruction stratégique. « Après Wœrth, dit-il, les Français commirent la faute de ne pas détruire les voies ferrées, de ne point faire sauter les longs tunnels percés dans les Vosges au-delà de Saverne. Ils croyaient sans doute encore pouvoir reprendre l’offensive, et ils comptaient que le jour viendrait où ces lignes leur seraient nécessaires ; autrement il est impossible de comprendre comment ils ne les rendirent pas impraticables. La joie de l’avant-garde allemande fut égale à sa surprise lorsqu’elle trouva ces tunnels parfaitement intacts et les défilés des Vosges très faciles à traverser. Si l’on avait fait sauter ces tunnels, si l’on avait pris toutes les mesures pour que le passage des Vosges devînt