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mère, croire à la bonté infinie de Dieu parce qu’on est soi-même devenu bon, trouver la paix du cœur, le calme de la conscience dans la conviction profonde qu’on est pardonné, aimé, sauvé, et, ravi dans une adoration perpétuelle, roulant d’extases en extases, tressaillir d’allégresse dans la possession du Dieu vivant, — : voilà ce qui préserva Luther de toute pensée égoïste et mesquine de salut personnel et de rémunération future.


IV

En résumé, la préparation exégétique de Luther prouve qu’il n’a été ni helléniste, ni hébraïsant, ni philologue au sens ordinaire de ces mots. Homme de foi et d’action, il n’a ni le goût de la science pure et désintéressée, ni le loisir nécessaire aux longues et patientes recherches qui ne donnent point de résultat immédiat. Sa science est toute pratique. Luther a reconnu l’importance de la philologie et de l’histoire pour l’usage dogmatique et homilétique des textes sacrés. Le christianisme ayant en somme ses racines dans l’Écriture, il a compris qu’il fallait avant tout préserver celle-ci des fausses interprétations en opposant à l’arbitraire du sens multiple et de l’allégorie l’exégèse grammaticale et critique. Les textes hébreux et grecs de la Bible sont la « parole extérieure. » Après tant de siècles, nous ne pouvons retrouver la foi qui sauve que dans des livres écrits en Orient. De là pour le théologien la nécessité de fortes études philologiques ; mais rien n’était plus opposé à la nature même de la science que des préoccupations de ce genre. « Je vous ai souvent recommandé d’apprendre l’hébreu, dit-il dans son commentaire sur le psaume XLV. Je pense en effet que nous aurons pour ennemis de notre religion les Espagnols, les Français, les Italiens, les Turcs même. La connaissance de la langue hébraïque sera nécessaire alors. Pour ma part, je sais combien elle m’a été utile contre mes adversaires. Aussi, pour des milliers de florins, je ne voudrais pas ne point savoir le peu d’hébreu que je sais. » Il était si peu porté à exagérer ses connaissances d’orientaliste, que dans les Colloquia on lui prête la déclaration suivante : « moi, Martin Luther, je ne sais guère de grec ni d’hébreu[1]. » Il ne s’est jamais vanté de posséder une science qu’il n’avait pas en réalité. On aurait donc grand tort de traiter Luther comme un « orientaliste. » En tout cas, on a mauvaise grâce à lui reprocher durement, comme Richard Simon, d’avoir mal su le grec et l’hébreu. Il apprit ces langues comme on les apprenait de son temps dans les universités.

  1. Colloquia, t. Ier, p. 263.