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Fut-il donc moins savant que Zwingli, Œcolampade, Capiton, Osiander, Bibliander, et tant d’autres théologiens illustres du XVIe siècle ?

Avec Luther, il faut toujours s’attendre à des contradictions. De même que, lorsqu’on étudie l’exégète, on ne doit pas oublier qu’il a commencé par traiter l’Écriture à la manière des scolastiques, qu’il a été « l’ennemi » de Lyra, et que, tout en exaltant plus tard l’autorité historique et le sens littéral de la Bible, il a pourtant tout subordonné dans l’Écriture à sa christologie, de même on imagine sans peine qu’un théologien qui pose d’abord en principe que le croyant peut seul saisir le vrai sens de l’Écriture ne se fera pas faute de malmener la grammaire, si elle met en péril sa dogmatique. Sa profonde piété ne lui permettait guère d’être longtemps d’accord avec ses instincts d’indépendance. Il fut toujours un peu le moine augustin des jeunes années qui, dans sa cellule, écrivait que « les temps étaient périlleux, » parce qu’un Érasme et un Lefèvre d’Étaples, ignorans de la grâce du Christ, osaient toucher au saint livre. Lui, il n’était que chrétien. Il voyait bien d’ailleurs qu’on ne vaut pas mieux parce qu’on sait le grec et l’hébreu, puisque saint Jérôme, qui passait pour avoir su cinq langues, n’avait pu égaler saint Augustin, qui n’en connut jamais qu’une. Érasme sans doute n’était point de cet avis ; mais il est bien difficile que celui qui accorde quelque chose à l’homme se rencontre avec celui qui ne connaît que la grâce. Avant tout, Luther prétendait bien trouver dans la Bible ce qu’il y avait mis a priori. En dépit de ses déclarations, il n’a donné d’aucun psaume une explication purement historique, et il trouve enseigné à chaque page des livres du peuple hébreu le mystère de la Trinité, l’éternité du Verbe, les deux natures du Christ, le dogme de la justification par la foi, les sacremens, que sais-je encore ? bref, tous les articles de la confession d’Augsbourg. Il y a dans les traités du théologien saxon une exégèse théorique, une herméneutique admirable, où tous les principes d’où est sortie l’exégèse moderne sont déjà posés ; mais il y a aussi dans les commentaires une exégèse pratique qui ne tient nul compte de l’autre ; ensemble même se faire un jeu d’en transgresser les lois.

Ne dirait-on pas que les théories du réformateur relatives à l’autorité de la Bible diffèrent absolument de celles de l’église catholique ? Saint Augustin en effet a dit : « Je ne croirais pas à l’Évangile sans l’autorité de l’église. » Luther au contraire, en face des pères, des conciles, des papes, des décrétales, des canons et des scolastiques, pose comme infaillible et absolue l’autorité unique de la Bible. « L’Écriture ne peut errer, » die Schrift kann nicht irren. Mais prenez garde : le Christ est le seul maître de Luther, le Christ l’instruit, le Christ parle en lui. Le cri de la conscience est pour