Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
88
REVUE DES DEUX MONDES.

à leur manière de comprendre l’art et de le goûter. Ce peuple, dont l’instinct supérieur a tracé pour toujours dans les arts les grandes lignes, s’attachait aux détails avec une infatigable curiosité. Où nous ne voyons que ressemblance et monotonie, ses sens plus subtils percevaient des différences et des diversités de couleur. Il aimait d’ailleurs plus que nous la lumière et le brillant ; de là notre peine à comprendre le marbre peint de ses temples, l’or et l’ivoire de ses majestueuses statues, où le précieux du travail le disputait à la richesse de la matière. Les harmonies étaient chez lui plus vives et plus délicates que chez nous, et il s’y plaisait davantage, abstraction faite du sujet. Il était donc moins exigeant en fait de nouveauté, parce qu’il trouvait la nouveauté dans des effets qui nous échappent ou qui nous laissent indifférens, et l’on pouvait varier presque à l’infini un thème connu, sans épuiser les jouissances de son dilettantisme. Les lois suprêmes, c’étaient, avec le goût, l’aisance et l’esprit.

L’oraison funèbre était d’ailleurs soutenue par son importance aux yeux des Athéniens ; ils étaient fiers d’une pareille institution. Démosthène le savait bien, lorsqu’il leur disait, pour flatter leur prétention à la générosité : « Seuls de tous les hommes, vous honorez vos citoyens morts par des funérailles publiques, et vous prononcez sur leur tombe des discours funèbres où vous célébrez les belles et les bonnes actions. » La vanité démocratique et le patriotisme trouvaient également leur compte dans une fête où l’on voyait, comme dit Platon, « les plus pauvres obtenir de pompeuses funérailles, où les moindres en mérite et en vertu s’entendaient publiquement louer par les plus habiles, » où tous enfin, au milieu des joies ou des craintes communes, pouvaient satisfaire le besoin de se rapprocher et de se sentir les enfans de la même mère. Aussi le choix de l’orateur était-il une affaire importante. Il était remis au sénat, dont la décision, préparée quelquefois par une délibération de deux jours, était considérée comme une marque éclatante de confiance, et mettait le sceau à la popularité d’un homme d’état. C’est ainsi qu’Hypéride lui-même fut choisi comme chef du parti anti-macédonien, alors triomphant. Quand l’orateur réussissait, peu de succès pouvaient flatter davantage son amour-propre. On raconte que, lorsque Périclès descendit de la tribune après avoir prononcé l’éloge des soldats qui avaient succombé dans la meurtrière expédition de Samos, entreprise et conduite par lui, les femmes, c’est-à-dire les proches parentes des victimes, le couvrirent de couronnes « comme un athlète vainqueur, » tant furent grands les transports causés par son éloquence.

De pareils faits achèvent d’expliquer comment les gens les plus amoureux du succès, les rhéteurs, s’adressèrent plus d’une fois à