Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
89
DERNIER DISCOURS DU PATRIOTISME ATHÉNIEN.

l’oraison funèbre et au panégyrique, ces deux genres voisins, plus qu’épuisés, semble-t-il, par la fréquence des cérémonies officielles. Ce fut une nouvelle classe de rivaux que rencontra l’orateur du Céramique. Hypéride, quand ce rôle lui échut, avait à lutter à la fois contre le souvenir de ceux qui l’avaient rempli avant lui et contre l’impression toujours présente des discours écrits. Ses juges venaient le comparer à Lysias, à Isocrate, au grave historien Thucydide, interprète de Périclès, à Platon lui-même, dont le Ménexène devint pour les contemporains de Cicéron le type de l’oraison funèbre, et même le monument consacré d’un patriotisme, hélas ! sans objet, dont il ressuscitait périodiquement, dans des lectures annuelles, l’appareil extérieur et la vanité. Ce trait nous fait bien voir, dans un abus qui ne s’explique d’ailleurs que par la décadence politique, quelles étaient les dispositions du public athénien. Hypéride paraissait donc alors dans une occasion digne de lui, et n’avait nullement à craindre de lasser ses auditeurs par des lieux-communs sur leur noblesse, leurs vertus, leur gloire nationale. Au contraire ces développemens étaient attendus par eux, et il y avait là une obligation à laquelle il lui était défendu de se soustraire. Si à l’examen nous reconnaissons qu’il a pu l’éluder en une certaine mesure, soyons sûrs qu’il aura satisfait cependant sur ces points essentiels les exigences de leur orgueil et les délicatesses de leur goût. C’est en effet ce qui est caractéristique dans ces parties du discours d’Hypéride où il remplit son rôle obligé de panégyriste : il s’en acquitte sans longueurs ni banalités. Le succès qu’il obtint nous est attesté encore à distance par l’admiration de l’auteur du Traité sur le Sublime. Aujourd’hui, il est vrai, nous ne pouvons apprécier toute la portée de ce témoignage ni comprendre parfaitement sur quoi il s’appuie. Il y a dans cette sorte d’éloquence des beautés de rhythme, de sonorité, d’élégance, qui échapperont toujours aux modernes. Ce sont maintenant des secrets presque aussi impénétrables que ceux de la musique des Grecs ou de leur poésie lyrique. Cependant, même par ce côté tout spécialement littéraire, Hypéride ne nous est pas tout à fait inaccessible. Il n’est pas besoin d’avoir passé par l’école d’Isocrate, ni d’être profondément initié aux grâces de l’atticisme, pour saisir quelque chose de la facilité brillante et de l’imagination souple et ingénieuse qui lui servent à traiter son sujet sans contraindre son allure, ni s’embarrasser dans les entraves de la convention.

Veut-il donner à ses concitoyens les louanges obligées sur leur caractère traditionnel de grandeur, il le fait en une période dont l’état actuel de mutilation ne nous dérobe pas toute la magnificence primitive. « De même que le soleil parcourant toute la terre y distribue régulièrement les saisons, établit partout un ordre har-