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personne en connût au juste la destination, nous avons vu de pauvres soldats transis de froid et entassés dans des wagons à bestiaux s’arrêter dans les gares où ils croyaient trouver un asile et du pain, quitter leur régiment et abandonner leurs armes à qui voulait les prendre. Sans même nous reporter au souvenir si récent de nos désastres, que n’ont pas été les évacuations de la Crimée sur Varna, Gallipoli, Constantinople, et même de Solferino sur Brescia ou Milan !


V

La convention de Genève avait eu cependant pour but, on le sait, de parer à d’aussi poignantes misères. La neutralisation des blessés, du matériel et du personnel des ambulances, qui a été consacrée par cette convention, conclue à Genève le 22 avril 1864, n’est point un principe dont la Suisse soit fondée à réclamer l’initiative. Le général Stain et le maréchal de Noailles en 1743, le général Moreau et le général Kray sous la république, l’avaient déjà proclamé. Enfin le 29 mai 1859, le Moniteur publiait un décret, signé quelques jours après la bataille de Montebello, qui statuait que désormais tous les prisonniers blessés seraient rendus à l’ennemi sans échange dès que leur état le permettrait. Ce décret ne resta pas lettre morte. Nous eûmes en 1859 à ramener à Vérone des blessés autrichiens soignés dans nos hôpitaux de Milan et de Brescia ; témoin ému des scènes attendrissantes que provoquait le retour de ces malheureux au milieu de leurs compatriotes, nous pûmes apprécier combien était grand le bienfait réalisé par le décret de Montebello. C’est donc à la France qu’appartient légitimement l’honneur d’avoir proclamé la neutralisation des blessés ; mais il est juste de reconnaître que c’est au comité de Genève qu’on doit d’avoir vu ce principe, étendu dans son application au personnel et au matériel sanitaires, accepté par tous les gouvernemens de l’Europe.

Malheureusement la convention de Genève était à peine connue de l’intendance militaire française, et au début de la dernière campagne rien n’était préparé pour la mettre en pratique. Quand nous arrivâmes à Metz, aucun médecin militaire français, aucun infirmier ne portait de brassard, aucune voiture d’ambulance n’avait le signe distinctif de la neutralité ; seulement à la porte de quelques ambulances de quartiers-généraux flottait un petit fanion blanc ayant au centre une croix de Malte en drap rouge, mais il était d’une dimension si restreinte qu’il n’était guère perceptible à 200 ou 300 mètres. Du reste, nos collègues de l’armée n’acceptaient qu’avec répugnance un signe distinctif qui avait pour but de les protéger, et pendant toute la campagne le brassard fut plus souvent dans leur