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grade : aussi est-ce trop souvent au point de vue des personnes qu’on décide l’organisation du commandement. La colonisation devient un simple prétexte pour demander des crédits aux commissions de budget. La Nouvelle-Calédonie a successivement des commandans particuliers pris dans l’infanterie de marine et subordonnés au contre-amiral, commandant à la mer ; tantôt l’amiral, commandant à la mer, est en même temps gouverneur de l’île ; puis tout est changé de nouveau, et l’on finit par nommer un gouverneur de la Nouvelle-Calédonie, qui est détachée de nos autres établissemens de l’Océanie. Cet ordre de choses dure plus longtemps que les autres : huit ans, de 1862 à 1870. La colonisation n’en est pas plus avancée ; elle est livrée à l’empirisme. Des essais de phalanstère, une administration philosophe, démocrate et philanthrope, l’instruction gratuite et laïque comme panacée, l’incrédulité pour religion, l’arbitraire pour gouvernement, une faiblesse insigne vis-à-vis des criminels, le communisme comme principe de colonisation, l’absolutisme appliqué à la population autochthone, — tel est le résultat obtenu après dix-huit années, depuis 1853, époque où nous avons pris possession de l’île.


II

Le premier soin de l’administration devait être de soumettre les naturels du pays. La lutte était alors à son apogée ; l’île ayant toujours été régie par des militaires, ils n’y avaient fait que la guerre. A l’est, notre occupation, qui se bornait à plusieurs blockaus élevés pour la protection de quelques colons, était compromise par des soulèvemens incessans. Nos postes placés près de la côte, à l’entrée des plus riches vallées, étaient assiégés jour et nuit. Isolés dans ces réduits, soldats, officiers et marins étaient disséminés par groupes de dix à vingt hommes qui osaient à peine se hasarder hors de la portée de leurs canons ; environnés d’ennemis par milliers et rationnés comme des équipages à la mer, ils n’étaient rien de plus qu’une garde d’honneur au drapeau. Ils n’affirmaient réellement que l’impuissance de la souveraineté française, — risibles chasseurs assaillis par le gibier. Il fallait leur donner de l’air et les faire craindre pour rétablir leur dignité.

A l’ouest, nul n’avait encore osé mettre le pied dans la partie indépendante de l’île, où les forêts, les montagnes et les précipices abritaient la plus effroyable sauvagerie. Gondou en était ; le représentant et le chef déterminé. Grand, robuste, haineux et féroce, il exerçait un réel ascendant sur ses sujets, dont le nombre croissait chaque jour par l’adjonction de tous les esprits aventureux. Ces