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imaginaire, » proscrits et dépouillés par un zèle hypocrite. Ici le fond de l’âme se découvre et le secret éclate : Hardy est janséniste. — Sceptique, indifférent ou janséniste, tel est le bourgeois de Paris au XVIIIe siècle, ce sont les trois formes de son opinion en matière religieuse ; mais il faut rendre à ce terme de janséniste, effacé aujourd’hui comme la chose même qu’il exprimait, son énergie et sa couleur. Ranimons un instant cette partie de notre histoire politique trop méconnue ; seule, elle peut nous expliquer les vraies origines du mouvement insurrectionnel qui aboutit à 1789. D’où venait en effet à l’opinion janséniste cette puissance étrange d’entraînement et de séduction naïvement constatée par l’avocat Barbier : « la bonne ville de Paris, de la tête aux pieds, est janséniste ? »

Le XVIIIe siècle, que nous croyons posséder à fond parce que nous en parlons sans cesse, contient de vastes espaces, pleins de vie et de mouvement, que nous ignorons presque, ou qui du moins n’offrent plus à notre esprit qu’une image éteinte de la vérité historique. En lettrés que nous sommes, nous attachons à l’action de la philosophie militante une importance exagérée, nous lui rapportons en tout événement l’honneur de la réussite ; nous abolissons par la pensée tout ce qui lui est étranger, et sa main seule nous apparaît dans l’œuvre de la révolution. Vue exclusive et partiale dont le tort est de supprimer un fait considérable, à savoir l’existence d’une puissante opposition politique antérieure à la propagande littéraire des philosophes, opposition purement française d’origine, qui, sans rien prendre aux Anglais ni aux livres, a créé d’une part le milieu ardent où les fermens nouveaux devaient plus tard éclater, et de l’autre a posé le principe générateur de 1789 en plaçant la volonté du peuple au-dessus de la volonté du roi ! Il faut voir dans les mémoires contemporains comme cette opposition remuait Paris bien avant l’Esprit des lois et le Contrat social, quels beaux dévoûmens elle a suscités, quels caractères intrépides, et d’une fermeté qui n’a rien de moderne, elle a mis en lumière ! Selon l’expression énergique d’un témoin très compétent, d’Argenson, elle rédigeait, dès le milieu du siècle, les cahiers des états-généraux. Sous deux formes distinctes, un même esprit animait ce grand parti de la résistance : l’opposant de ce temps-là était janséniste en religion et parlementaire en politique ; il vivait d’une double haine, la haine de Rome et la haine de Versailles, noms qui résumaient et symbolisaient à ses yeux tous les abus du despotisme, clérical ou séculier, monarchique ou ultramontain. Ces deux antipathies mêlées et confondues, ces deux élémens de colère et de révolte, pour ainsi dire forgés ensemble, donnaient à l’opposition une trempe inflexible, une ardente ténacité. Le jansénisme y mettait, pour son compte, l’âpreté sombre, la rancune immortelle,