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l’entêtement puritain, et, ce qui nous manque trop aujourd’hui, le courage du sacrifice, le mépris hautain de la souffrance. La fusion des deux partis réfractaires se montre bien dans la fameuse maxime qui était l’âme du mouvement et le drapeau du combat : « la nation est au-dessus des rois, comme l’église universelle au-dessus du pape. » Or qu’est-ce que cela, sinon le régime des assemblées préféré au pouvoir irresponsable d’un seul ? Qu’est-ce encore, sinon la volonté de protéger par des règles fixes et de solides barrières la vie, les biens, l’honneur, la conscience et les droits des citoyens, l’intérêt public et la sûreté de l’état contre les violences, les vices et les corruptions qui naissent fatalement de l’arbitraire ? Il y avait donc au fond de la querelle janséniste une question politique qui en sécularisait le caractère et en transformait l’importance. L’air de cloître et d’école, l’humeur morose et tracassière de la doctrine, disparaissaient sous l’influence magique de la passion ; restait la flamme intérieure, le sentiment jaloux de la dignité personnelle, et dans la crise des persécutions le prestige du martyre : tout cela prêtait à l’opinion janséniste une sorte de grandeur exaltée qui lui gagnait les masses. Pas plus que le Parisien d’aujourd’hui, le bourgeois d’il y a cent ans n’avait un goût très vif pour la casuistique. Il passait par-dessus ces insipides subtilités et jugeait des combattans par le cœur ; se mêlant aux controverses sans en entendre la langue, il y entrait d’enthousiasme et par emportement. N’est-il pas curieux cependant de voir le XVIIIe siècle débuter en théologien dans la voie d’opposition à outrance qui doit le conduire à l’athéisme ?

Représentans-nous le Paris de Louis XV au lendemain de la régence, ce Paris où la barbarie perce encore sous le brillant d’une politesse récente, où l’on pend « à la croix du Trahoir, » où il y a un pilori et un carcan, où l’on fleurdelisé publiquement les mal famés et les suspects, « où l’on vole partout dès que la nuit est arrivée, où l’on ne rencontre plus personne dès sept heures du soir ; » — cette grande ville si superstitieuse malgré les esprits forts, si attachée à ses habitudes bourgeoises malgré les exemples de haute corruption donnés par la cour : — un feu latent, inextinguible, y circule, et la moindre étincelle partie de Versailles ou du Vatican provoque une explosion. Dès que le parlement, gardien des apparences de nos libertés, entre en lutte et fait échec au clergé ultramontain ou aux ministres, l’émotion gagne toutes les classes ; une immense adhésion appuie la résistance et l’excite : on se presse aux abords du Palais, on assiège les salles et les rues voisines, on bat des mains sur le passage des magistrats, on leur jette des couronnes, on crie : « Vive le parlement ! voilà de vrais romains, les pères de la patrie ! » Suivent les coups d’éclat, démissions en masse, lettres de cachet, bannissemens, interruption de la justice. Il suffit