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un décret une sorte d’enregistrement d’une décision de la « commission souveraine, » et nous sommes d’autant plus à l’aise pour faire cette observation dans un cas spécial, que cette fois il s’agit d’un des hommes qui ont rendu le plus de services à l’armée de la Loire, de M. le capitaine de vaisseau Jaurès, qui, après avoir été fait général de division pendant la guerre, redevient contre-amiral. Mieux vaudrait que chacun restât dans sa sphère, que la commission de l’assemblée fît son œuvre sans affecter le caractère souverain, et qu’elle renvoyât son travail au gouvernement, qui, à son tour, déciderait sous sa responsabilité. Dans tous les cas, il fallait bien arriver à cette révision des grades. C’était une œuvre de justice distributive, de saine administration et de prévoyance. On ne pouvait évidemment accepter l’onéreux et compromettant héritage de cette immensité de grades créés par la guerre, d’autant plus qu’il pouvait en résulter une inégalité inique et choquante au détriment de toute une partie de l’armée qui a certes vaillamment combattu et qui a été la plus malheureuse. On a donc fait cette terrible révision qui nécessairement devait être une déception pour quelques-uns, et alors a commencé le défilé des récriminations et des plaintes. M. le général de Nansouty s’est plaint de la commission qui l’a mis en retrait d’emploi, et il a forcé le ministre de la guerre à lui infliger une punition disciplinaire, dure pour un vieux soldat. M. Cremer, qui, après être devenu de simple capitaine général de division, a été ramené au grade de chef d’escadron, n’a point été content du tout, et il a donné sa démission. Tout cela a été un petit orage heureusement sans durée. Le bon esprit, le sentiment de la discipline et du devoir, sont encore trop puissans dans notre armée pour que les mœurs militaires ne reprennent pas bien vite leur force ; mais enfin il y a en tout ceci une moralité, c’est que les révolutions ne diminuent pas l’amour des grades et des récompenses. Une fois qu’on a obtenu, d’une façon ou d’autre, le grade supérieur, on y tient sans se demander si d’autres n’ont pas rendu autant de services avec plus de désintéressement, et quant à nous, si nous avions une opinion à émettre, ce n’est pas la parcimonie dans la distribution des récompenses que nous songerions à reprocher au gouvernement ; nous lui demanderions plutôt de revoir, de revoir beaucoup, d’éviter les prodigalités, de fermer l’écluse des récompenses, parce qu’enfin nous ne pouvons pas être une nation de gradés et de décorés. Certes la France a un grand travail à faire sur elle-même, elle a bien des difficultés à vaincre avant de redevenir ce qu’elle a été, ce que les ressources naturelles de son génie pourront l’appeler à être encore. Elle a été entraînée par des revers inouïs dans une crise à la fois extérieure et intérieure qui est la plus redoutable épreuve pour sa fortune en même temps qu’elle est le spectacle le plus instructif pour le monde. Il ne faut pas croire cependant qu’elle soit seule à mener la vie laborieuse des peuples éprouvés, et que tous les autres états de l’Europe soient sur des