Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le plus abhorré des catholiques syriens, le ver destructeur qui minait sourdement leurs églises. — J’ai dit quelques mots en passant de l’apollinarisme et de son fondateur ; j’en parlerai plus longuement ici, afin de montrer comment la réapparition de cette hérésie dans un document d’une telle importance pouvait ne pas être pour un patriarche de Syrie un vain épouvantail.

Apollinaire, confesseur intrépide, orateur brillant, évêque respecté, puis hérésiarque après sa mort, avait été une des figures les plus originales et les plus intéressantes de la chrétienté catholique au IVe siècle. Il habitait avec son père Laodicée de Syrie, où ils s’étaient fait l’un et l’autre une grande réputation dans le professorat des lettres, le père par ses leçons sur la poésie, le fils par son enseignement de l’art oratoire, où il savait marier heureusement l’exemple au précepte. Tous deux étaient chrétiens et ardens con-substantialistes, tous deux aussi étaient dans les ordres : le père prêtre, et le fils lecteur, quand s’ouvrit l’ère des persécutions. Échappés à grand’peine aux fureurs ariennes de Constance, ils eurent à lutter contre la tyrannie païenne de Julien et lui résistèrent généreusement. Pour éluder la loi odieuse par laquelle cet empereur philosophe interdisait aux jeunes chrétiens l’étude de l’antiquité grecque de peur qu’elle ne gâtât leur foi, Apollinaire le père fit passer dans des paraphrases de l’Ancien-Testament un choix des plus beaux vers d’Homère, et le fils les plus beaux morceaux de Platon dans des dialogues chrétiens ; de cette façon, l’instruction de la jeunesse fidèle ne se trouva pas réduite, comme le disait insolemment Julien, à l’explication de Matthieu et de Luc. Aussi compta-t-il le fils parmi les plus dangereux ennemis de son empire, à côté de Grégoire de Nazianze et de Basile.

Au retour de la paix religieuse, le jeune Apollinaire, nommé évêque de sa ville, attira autour de la chaire épiscopale la foule qui l’avait applaudi dans les gymnases ; mais il ne sut pas maintenir intacte cette foi qu’il avait si vaillamment confessée. Trop ébloui par l’admiration des anciens, il semblait ne plus entrevoir le christianisme qu’à travers les allégories de leurs poètes. Ainsi il ne put admettre que Dieu, descendu sur la terre pour sauver les hommes, eût pris une chair semblable à la leur, et se fût fait consubstantiel à ses créatures. Il voulut que les élémens dont s’était formé le corps de Jésus dans le sein de Marie fussent des élémens particuliers, créés de la substance même de Dieu pour être l’enveloppe passagère de sa divinité ; quelquefois même il les prétendait coéternels au Verbe, ayant existé avant les temps dans les prédestinations divines. Il soutenait aussi que le corps du Christ, doué comme les corps humains d’une âme sensitive, manquait d’une âme raisonnable, sa divinité lui servant d’âme et d’entendement. Il