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schisme s’était créé dans l’église syrienne. C’est au milieu de ces embarras que parvint à Jean l’avertissement d’un procès en règle instruit contre la mémoire de Théodore de Mopsueste et d’un autre contre celle de Diodore de Tarse, ces deux enfans de la ville d’Antioche, ces deux illustrations de son église, le premier surtout. Jean, réveillé comme en sursaut au milieu de cette paix trompeuse, s’empressa de réunir un synode d’Orientaux, où il fut décidé qu’on soutiendrait jusqu’au bout près de l’empereur, près des églises d’Orient et en face de la chrétienté tout entière, l’honneur d’un serviteur de Dieu mort saintement après avoir vécu saintement, « qui, disaient les pères du synode, avait enseigné avec gloire pendant quarante-cinq ans, avait combattu toutes les hérésies, n’avait jamais en sa vie reçu aucun reproche des catholiques, et avait au contraire mérité l’approbation constante des évêques, des empereurs et des peuples… » Le patriarche ajoutait dans une lettre particulière : « Nous nous ferons tous brûler plutôt que d’anathématiser Théodore. »

L’empereur en avait déjà assez de la guerre aux vivans ; il recula devant cette nouvelle campagne contre des morts ; l’affaire fut étouffée, non sans quelque peine, et Théodore de Mopsueste put reposer sans excommunication dans son sépulcre. Quant au nestorianisme, il subsista toujours en Orient dans les provinces traversées par l’Euphrate, d’où il passa en Arabie, en Perse et jusque dans l’Inde, propagé, comme je l’ai dit, par la persécution, car beaucoup de ceux qu’on avait chassés de leurs foyers sans qu’ils fussent vraiment nestoriens le devinrent par haine pour leurs bourreaux. Il en resta en outre plus d’un foyer caché sous des apparences catholiques en Europe et à Constantinople même. Les fidèles de cette petite communauté ne demandèrent-ils pas à l’empereur Marcien l’autorisation de ramener son corps dans la ville impériale comme on avait ramené celui de Chrysostome ? Quant aux nestoriens de l’extrême Orient, ils classèrent leur fondateur parmi les saints, et inscrivent encore aujourd’hui son nom sur le calendrier de leur église.

Après cette grande victoire sur le nestorianisme, après tant de combats et de souffrances, on eût pu croire que l’église d’Orient goûterait enfin le repos ; mais il en est de l’agitation des esprits quand elle est profonde comme de l’agitation des flots, et une digue élevée sur la rive d’un fleuve pour la protéger amène infailliblement l’inondation sur la rive opposée. Quelque chose de pareil se produisit dans ce grand courant d’idées religieuses qui entraînait le monde. Nestorius produisit Eutychès, et du concile d’Ephèse sortit le concile du brigandage.


AMEDEE THIERRY.