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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/317

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rassure, nous paierons tous notre part. La loi de l’impôt fauchera dans les champs de la richesse les épis les plus superbes, elle abaissera les modestes niveaux de l’aisance, et, quels que puissent être ses ménagemens, il faudra bien que, d’une manière directe ou indirecte, elle descende jusqu’au salaire. Que chacun dès aujourd’hui s’habitue à cette pensée en évitant de troubler par des querelles au moins inopportunes l’activité renaissante du travail.

Quant à nos discussions politiques, est-ce que ce n’est pas un devoir pour tous les partis de conclure et de pratiquer sérieusement la trêve du patriotisme ? Beaucoup diront que, s’ils désirent autre chose que ce qui est, leur sentiment s’inspire de l’intérêt du pays, et qu’ils croient précisément obtenir par telle ou telle combinaison la liquidation plus économique de nos désastres, le relèvement plus solide de la France. Telle est assurément la pensée des hommes honorables et respectables dans les divers partis, car sur notre sol tourmenté où de successives révolutions ont accumulé tant de souvenirs, tant de regrets, tant de passions mal éteintes, semblables aux couches de lave qui se déroulent au pied d’un volcan, il y a place pour tous les modes de patriotisme, et aucun parti ne saurait s’attribuer le monopole de cet instinct sacré. Mais quel est celui qui peut aujourd’hui nous donner plus sûrement et plus vite la libération du territoire, c’est-à-dire l’essentielle condition de l’indépendance nationale ? Où est-il celui qui peut nous dire à cette heure : « Je vous délivre de l’étranger ? » Non, ne nous égarons pas dans les rêves, et attachons-nous à la réalité, à l’expérience des faits. Nous avons un gouvernement qui n’est peut-être pas défini dans Aristote, mais qui après tout, s’appuyant sur l’assemblée nationale d’où il est sorti, a rendu à la France l’immense service de conclure la paix et de négocier utilement pour la diminution des charges de la guerre. Il a obtenu en quelques mois un résultat que le gouvernement de la restauration n’avait obtenu qu’après deux années ; il est respecté par les cabinets étrangers, qui jugent plus froidement que nous ne le faisons nous-mêmes notre situation intérieure ; il a su forcer, sans rien laisser de notre dignité, la confiance de l’Allemagne, qui tient notre signature et notre sol. Plus facilement qu’aucun autre, avec moins de compétitions intérieures, il pourra achever l’œuvre qu’il a commencée, mener à bonne fin les négociations dont il vient d’écrire les premières pages. Voilà pour le patriote, à quelque parti qu’il appartienne, la raison décisive qui commande l’abnégation politique, le silence des regrets et le voile des espérances personnelles. On a dit que la république est ce qui nous divise le moins ; ajoutons que la libération du territoire est ce qui nous unit tous : c’est là une affirmation, un mot d’ordre auquel chacun doit se rallier.