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Faut-il parler de ces opinions exaltées qui, bafouant les gouvernemens, les diplomates et leurs protocoles, entonnent déjà le chant de guerre et proclament la revanche prochaine ? S’ils savaient, ces enfans terribles du patriotisme, s’ils savaient tout le mal qu’ils font ! Ils se sont indignés contre cette guerre engagée sans préparatifs et sans alliés, et maintenant, au lendemain du désastre, quand nos armées sont désorganisées, ces chevaliers de la revanche voudraient entrer en campagne. Folles rodomontades qui, ne nous rapportant que d’injurieux dédains, fournissent au vainqueur un prétexte pour serrer plus fort et plus longtemps les liens qui nous étreignent ! Comme les grandes douleurs, les défaites nationales doivent être muettes, et, quand un peuple n’a pas eu la chance de vaincre, il faut qu’il sache être vaincu, car il y a une dignité de la défaite. La revanche viendra contre l’Allemagne à son heure, comme à trois dates fatales, 1814, 1815 et 1870, elle est venue contre la France. Est-ce que, nous aussi, nous n’avons pas eu le Rhin allemand ? C’est de Berlin, en 1806, que Napoléon décrétait le blocus continental ; c’est de Moscou, en 1812, que le conquérant, déjà un pied dans la neige qui allait couvrir la grande armée, se plaisait à libeller la charte d’un théâtre. Combien de temps cela a-t-il duré ? N’avons-nous pas vu des territoires aussi grands, aussi riches que l’Alsace, retourner, après un long exil, à leur ancienne patrie ? L’histoire est pleine de ces revanches, qu’il est permis de rappeler sans bravade et que la fortune réserve aux nations qui savent l’attendre. Pour le moment, quel est le devoir de la France ? C’est de travailler avec persévérance à l’exécution loyale de ses engagemens, c’est de négocier sans relâche jusqu’à ce que le dernier soldat de l’armée allemande ait franchi la frontière. Nous pouvons faire appel à l’intérêt de l’Allemagne, à l’intérêt de l’Europe, aux précédens historiques. La cause est gagnée, si nous restons unis ; nous en avons pour garans les traités de Berlin.


C. LAVOLLEE.