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seulement Dieu, ni seulement homme ; il a été Emmanuel, Dieu et homme, sans aucune confusion, Dieu fait homme sans changement et sans altération de la nature humaine. — Soumettre Jésus-Christ au péché en disant qu’il est un pur homme, c’est être juif, et dire que le Christ et le Verbe divin sont deux, c’est mériter d’être divisé et séparé de Dieu même, car on établit par là une quaternité au lieu de la trinité que nous adorons. » Ce discours souleva les applaudissemens de l’auditoire, et il est resté fameux dans l’antiquité comme la manifestation la plus nette ; la plus précise, qu’on eût encore sur le dogme de l’incarnation. Les églises étaient alors une lice ouverte aux débats religieux, où les orateurs répondaient aux orateurs, où l’on se contrariait, où l’on discutait, où les approbations et les murmures exprimaient les sentimens alternatifs du public. Lorsque Proclus eut fini, Nestorius se leva pour lui répondre, et les tachygraphes nous ont conservé sa réplique : elle ressemble à tout ce qu’il avait dit ailleurs. Il tâche toujours de montrer qu’on doit non pas dire que le Verbe soit né de la Vierge, ni qu’il soit mort, mais seulement qu’il était uni à celui qui est né et qui est mort ; il ne peut souffrir non plus qu’on dise que Dieu se soit fait notre pontife : c’est manquer au respect dû à sa toute-puissance. Comme Proclus avait évidemment les sympathies de l’auditoire, il se défend de le combattre. « J’en dirais davantage, ajoute-t-il en terminant ; mais je vois bien qu’on s’imagine que je veux entraver la liberté des autres et m’opposer à la doctrine des maîtres de l’église. » Plus tard, il se déclarait l’ennemi mortel de son adversaire, le traitant d’hérétique et de misérable.

Le clergé métropolitain avait fait sa protestation, les laïques firent la leur. Un jour qu’il prêchait sur les mêmes matières, un des assistans se leva et prononça ces mots d’une voix ferme : « ce que nous entendons là n’est que mensonge et blasphème ; la vérité est que le même Verbe de Dieu engendré par le père de toute éternité a pris une seconde naissance selon la chair au sein d’une femme pour opérer notre rédemption. » Après ces mots, l’interrupteur sortit comme s’il eût voulu que ses oreilles ne fussent plus souillées par les blasphèmes de son évêque. Celui-ci, tout en fureur, le poursuivit d’injures pendant qu’il sortait, le traitant de brouillon, d’ignorant, de misérable : c’était un de ses termes favoris. L’interrupteur était un avocat de Constantinople bien connu pour s’occuper d’études exégétiques, et aussi pour la ferveur de son zèle orthodoxe ; il se nommait Eusèbe. La lecture des pères et des canons ecclésiastiques l’occupait au moins autant que le droit civil qu’il était chargé d’expliquer devant les juges, et il portait en outre dans les contestations religieuses le même esprit de chicane et d’opiniâtreté qui le distinguait au barreau. C’était d’ailleurs un