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homme honnête et probe. S’il nourrissait dans son âme l’ambition mondaine de changer d’état, il y réussit parfaitement en engageant une lutte publique contre l’archevêque ; il se trouva en effet qu’une ville de Phrygie, émerveillée de son courage, le prit pour évêque à quelque temps de là. La ville se nommait Dorylée, et Eusèbe en était probablement originaire. Nous le verrons par la suite jouer un grand rôle dans les conciles sous son nouveau titre et son nouveau costume ; mais le vieil homme ne sera pas changé, et Eusèbe portera toujours avec lui l’humeur et les habitudes de son ancienne profession.

Quelques jours après la scène de l’église, un placard fut affiché sur les murs de Constantinople portant en substance ceci : « au nom de la très sainte Trinité, nous conjurons ceux qui liront cet écrit de le porter à la connaissance des évêques, prêtres, diacres et laïques qui se trouvent dans cette ville, et de leur en donner copie pour la confusion de l’hérétique Nestorius, lequel est dans les sentimens d’un autre hérétique, Paul de Samosate, anathématisé il y a cent soixante ans. » Cet avertissement était suivi d’un parallèle des deux doctrines se composant d’extraits des discours du premier et des livres du second. Le placard se terminait ainsi : Il anathème à qui sépare le fils de Dieu du fils de Marie ! » Il causa une grande rumeur dans la ville ; on se le passa de main en main, et on sut bientôt qu’il était de l’avocat Eusèbe, l’interrupteur de l’archevêque à Sainte-Sophie. Ce n’était pas moins que la mise en accusation formelle de Nestorius. Au fond, si l’attaque était justifiée au point de vue de la croyance commune, l’assimilation à Paul de Samosate n’était ni sincère ni vraie, et les gens de bonne foi, même les plus opposés à Nestorius, le jugèrent ainsi. « J’ai beaucoup lu les discours de Nestorius, écrivait à ce sujet l’historien contemporain Socrate, et je ne suis animé envers lui d’aucun sentiment de haine ou de simple inimitié ; mais je n’admettrai jamais qu’on le compare à Paul de Samosate ou à Photin, qui prétendaient que le Christ n’était qu’un pur homme. Le seul mot de mère de Dieu effraie le premier comme un fantôme effraie un enfant : cela vient de son manque de savoir, car, se voyant naturellement disert, il a voulu paraître encore érudit lorsqu’il n’était au fond qu’un ignorant. Il n’avait jamais daigné lire les anciens commentateurs, se mettant bien loin au-dessus de tout le monde. S’il avait connu les livres saints, il aurait su que l’apôtre Jean a écrit dans son épître catholique que « tout esprit qui sépare Jésus de Dieu n’est pas de Dieu. » Si ces mots ne se trouvent pas dans certains exemplaires, c’est qu’ils en ont été retranchés par des hérétiques qui ne voulaient pas confesser l’unité des deux natures en Jésus-Christ. Voilà ce que