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Avec les sympathies nationales du monde slave, elle n’aurait rien à craindre, l’avenir serait à elle, car les revers mêmes ne feraient que fortifier le sentiment de la communauté de race, et démontrer la nécessité de l’union fédérale de tous les Slaves. Le jour où des bords de la Moldau aux pentes du Balkan toute femme slave dira à ses enfans : « Ne criez point, les Russes viennent à notre aide, » la Russie pourra compter sur le triomphe final. Mais point de milieu ; il faut que sa main s’étende jusqu’à Prague et à Trieste, ou bien elle sera repoussée au-delà du Dnieper.

Que vaut cette opinion ? Pour entrevoir ce que peut être l’avenir de la Russie, il faut rappeler brièvement ses origines et l’histoire de ses agrandissemens, qui font penser à l’accroissement de la Prusse. Et d’abord à quelle race appartiennent les Russes ? sont-ils Aryens ou Touraniens, c’est-à-dire Slaves ou Finnois et Tartares-Ouraliens ? Les Polonais soutiennent que les vrais Russes, les Moscovites, n’étaient point Slaves. Primitivement, jusqu’à l’an 1000, les Slaves ne s’étendaient que jusqu’à l’Oka ; au-delà commençaient des peuplades touraniennes à l’est, finnoises au nord. Après avoir été conquises par les princes ruthéniens, de la dynastie des Rourik, elles adoptèrent la foi, la langue et les usages de leurs vainqueurs. La Moscovie, qui est la vraie Russie, est originairement un état finno-touranien, donc étranger à la race aryenne. — Les Russes ne veulent pas admettre cette façon de faire leur histoire. Déjà Catherine II défendait de dire que son peuple était d’origine finnoise. Les historiens russes soutiennent, d’abord que les Ruthéniens, qui sont bien de purs Slaves, sont précisément les vrais Russes, et qu’en outre tout le pays au-delà du Dnieper, — occupé, il est vrai, dans les premiers temps par des hordes finnoises et touraniennes, — a été dépeuplé par les Mongols au XIIIe siècle et colonisé ensuite par les Slaves.

Ces questions ethnologiques, qui, semble-t-il, n’intéressent que les savans, sont pourtant aujourd’hui d’une grande importance en politique, puisque c’est d’après les limites des races que l’on veut tracer les frontières des états. Les documens historiques manquent pour déterminer avec précision de quels élémens se sont formées les populations qui occupent aujourd’hui l’empire des tsars ; on ne sait même pas au juste à quelle race appartenaient les Scythes et les Sarmates qui dans l’antiquité nous apparaissent au nord de la Mer-Noire. A juger d’après les caractères physiques des Russes d’aujourd’hui, on est porté à croire qu’ils sont issus d’un mélange de sang aryen et de sang touranien. Ils ont d’ordinaire les cheveux blonds, les yeux bleus, la peau blanche, les dents petites comme les Germains et les Scandinaves ; mais fréquemment aussi ils ont le nez retroussé et les pommettes saillantes, comme les peuples de la