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qui conviennent aux élémens, ce sont les rôles gigantesques, inattendus, spontanés, — soubresauts de feux souterrains, explosions de volcans, inondations de fleuves, surgissemens d’îles nouvelles, apocalypses de tout genre ! Les doctrines peuvent être calmes, patientes, modestes, compter sur le temps pour se fonder, regagner avec lenteur ce qu’elles ont perdu, s’amender sagement par l’expérience et la controverse ; — les élémens ne connaissent d’autres principes d’action qu’un orgueil sauvage et une irrésistible furie. Ils sont aveugles et ne s’appartiennent pas ; ils ne choisissent pas leur jour et leur heure, c’est le jour et l’heure qui viennent les surprendre, ils ne se modèrent que par leur propre épuisement, et ne s’apaisent que par leur mort. Nous en avons fait vingt fois l’expérience, et la dernière n’est que d’hier. Parler de modération et de patience à l’élément révolutionnaire, l’engager à compter avec le temps et sur le temps, c’est une entreprise à peu près aussi sage que le serait la tentative d’empêcher l’explosion d’un volcan lorsque, battu des flots de la mer, il s’enflamme sous la pression des eaux, ou que ses matières ardentes emprisonnées au sein de la terre cherchent une issue pour s’échapper. Lorsqu’elle trouvera des digues partout autour d’elle, et qu’au lieu d’avoir sa libre expansion elle sera obligée de remonter vers sa source et d’épancher ses eaux entre les limites du sol natal, comment prendra-t-elle ce refoulement et cette diminution d’elle-même ? Après avoir aspiré à représenter l’univers et avoir proposé ses doctrines comme celles du genre humain, consentira-t-elle à ne plus représenter que la France et à n’être qu’une doctrine d’origine française ? Après avoir été le fait européen par excellence, consentira-t-elle à n’être plus qu’un fait local ? Si le passé peut faire présumer de l’avenir, il est difficile de croire qu’elle se résigne à ce rôle, si humble, elle dont la devise a été jusqu’à présent tout ou rien, et qui n’a pu supporter le plus petit partage de domination. Alors, irritée des obstacles que rencontrera son expansion et ne pouvant les franchir, épargnera-t-elle ses fureurs au pays dont elle porte le nom, ou se vengera-t-elle de son impuissance en le condamnant à une guerre intestine sans trêve comme sans but ? Ne pouvant plus nous assurer la prépondérance européenne, pourra-t-elle au moins nous assurer la possession de la patrie ? Toute âme française doit attendre avec une curiosité sans empressement la réponse que le temps apportera à cet inquiétant dilemme.


II

Hélas ! non, la révolution française ne fut jamais faite pour couler dans un lit aussi resserré que celui de l’idée de patrie, au sens