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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/426

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étroit, mais précis et robuste, où la France l’entendit pendant plus de dix siècles de sa longue histoire. En bien examinant son caractère, en bien écoutant ses prétentions, en bien surveillant ses mouvemens, souvent involontaires sans doute, mais d’une nature à laquelle elle est obligée d’obéir quand même, en la suivant dans toutes les phases qu’elle a parcourues jusqu’à ce jour, on arrive à se convaincre qu’elle ne peut être et qu’elle n’est en effet que la parfaite antithèse et l’ennemie encore inconsciente de l’idée de patrie, qu’elle devra nécessairement emporter dans son cours sous peine de disparaître elle-même. Je dis l’ennemie encore inconsciente, parce que jusqu’à ce jour les meneurs de la révolution n’ont jamais bien nettement aperçu les conséquences de l’idée qu’ils avaient embrassée, ou, quand ils les ont aperçues, n’ont jamais osé les confesser ouvertement, soit qu’ils aient craint en les avouant de compromettre leur cause, soit que l’idée séculaire de patrie leur ait paru trop redoutable pour être attaquée de front, soit qu’un sentiment de piété pour le passé de la nation ait attendri leur logique. Quant à la masse du peuple, elle a toujours été si loin de se douter du chemin où elle marchait, que l’idée de révolution s’est identifiée dans son esprit avec l’idée de patrie qu’elle tenait de son éducation, et que, transportant à des choses nouvelles dont elle comprenait imparfaitement les tendances les mots qui lui servaient à désigner des choses anciennes, elle a fait de patriote le nom par excellence de tout révolutionnaire. Tant qu’un vestige de tradition a uni la France nouvelle à la France ancienne, tant que le présent n’a pas été à une trop longue distance du passé, ces conséquences n’ont pu se faire jour ; mais lorsque la roue du temps a eu assez tourné pour qu’il ne subsistât plus aucun débris de ce qui fut, l’heure de la logique a sonné, et les générations contemporaines, élevées dans une société où la révolution seule est debout, ont écouté sans trop d’étonnement des paroles qui trente ans plus tôt les auraient remplies d’horreur et d’effroi. Ce n’est que d’hier qu’on a pu entendre murmurer à voix basse (bien basse et bien timide encore malgré la violence des actes) ces mots sinistres : périsse la patrie, et que la révolution soit sauvée ! mais nos oreilles n’ont pas été tellement sourdes qu’elles n’aient pu distinctement l’entendre.

Qu’est-ce que la patrie ? Je commence par prendre la question par son côté le plus étroit peut-être, mais le moins contesté, et je réponds avec l’antiquité : La patrie, c’est le pays des pères, et ce qui la constitue, c’est le lieu où nous sommes nés, les foyers, les autels et les tombeaux. Si cette définition est exacte, il faut avouer que la révolution, tout en prononçant très haut le nom de patrie, a peu ménagé tout ce qui la compose. Je dirai peu de chose des autels ; on sait la haine toute particulière que leur a vouée la