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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/446

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provinces après les avoir abolies radicalement. Pour une telle œuvre, il est trop tard ; le fédéralisme girondin aurait pu réussir sans trop de peine à une époque où l’esprit provincial était encore entier, où le rouleau égalitaire d’une administration uniforme n’avait pas fait de tout le pays une immense Champagne politique. A l’époque où les girondins le proposèrent, ce système ne portait aucune atteinte à l’idée de patrie, continuait la vieille France dans la nouvelle, et permettait aux populations de rattacher sans peine leurs anciennes habitudes à leurs nouveaux devoirs ; mais l’unité absolue, ayant prévalu, a donné maintenant sa forme définitive à la patrie, et ce serait la blesser plus mortellement peut-être qu’on ne le pense que d’essayer de rendre une indépendance même relative à chacun des membres de ce vaste corps. L’unité, voilà pour le moment tout ce qui nous reste ; cette unité, la révolution nous l’a donnée en partie, et quand aujourd’hui elle parle même avec bonne intention d’y porter atteinte, elle choisit mal son heure.

La troisième opinion ne se contente pas d’ambitions si mesquines. Portant résolument ses vues au-delà de la patrie, qu’elle abandonne décidément comme centre de vie distincte, elle ne fait plus qu’une seule nation de tous les peuples de l’Europe, qu’elle relie dans une vaste fédération. C’est le système dit des états-unis d’Europe : il a trouvé récemment quelque faveur auprès des démocrates qui, ayant voyagé ou guerroyé en beaucoup de pays, ont fini par ne plus tenir bien décidément à aucun, ou des esprits à visées étendues qui disposent des peuples pour la paix sans plus de façons que Napoléon Ier pour la guerre. Cette opinion séduisante n’est pas, on le voit, à la veille de devenir un fait, et, si elle a une importance immédiate, ce n’est que par la bonne grâce avec laquelle la démocratie fait enfin l’aveu que la patrie lui semble une institution surannée, insuffisante à satisfaire aux nouvelles aspirations des peuples ; mais, devînt-elle une réalité, elle resterait encore une chimère : seulement la chimère courrait risque d’être sanglante, et ici nous parlons non pas du sang qu’il en coûterait pour l’établir, mais de celui qui coulerait à flots en conséquence de la réalisation d’un tel rêve. Tremblez, si jamais cette fédération fraternelle se réalise ; ce jour-là, empruntez leurs ailes aux aigles, allez vous abattre dans un hémisphère où les peuples seront encore parqués en nations ennemies. C’est pour assurer à l’humanité les bienfaits de la paix que cette opinion rêve une fédération européenne analogue aux États-Unis d’Amérique ; mais le jour où un tel système prévaudrait sur ce vieux continent, où tant de peuples, tous séparés par la langue, les habitudes, les religions, les traditions, les différences de génie et d’âme, les divers degrés de civilisation, se trouvent réunis, et ne sont retenus de se précipiter les uns sur les autres que par la