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l’artillerie de la place. Celle-ci répond vigoureusement, tant qu’elle peut répondre ; mais que faire contre des coups tirés de si près, dans une position si favorable, et avec une telle précision qu’ils atteignent l’embrasure des pièces et en mettent les servans hors de combat ? Une grande brèche est ouverte dans la façade de la caserne d’infanterie, l’hôpital est criblé d’obus, les malades fuient de chambre en chambre ; une amputation commencée est interrompue deux fois par l’explosion des projectiles dans deux salles successives et ne peut se terminer que dans les caves. Afin d’entretenir parmi les habitans de perpétuelles inquiétudes, des bombes lancées de demi-heure en demi-heure pendant le jour, de quart d’heure en quart d’heure pendant la nuit, balaient les rues et éclatent sur les maisons. On espère aussi les amener à capituler, comme on l’a essayé à Strasbourg, en mutilant le principal édifice de la ville, l’église qui fait leur orgueil et qui parle à l’étranger de leur ancienne gloire. Le 18 septembre, à cinq heures du soir, sans provocation, sans motif apparent, une canonnade furieuse dirigée avec intention contre le portail de la cathédrale y fit tomber cinq cents obus, ébrécha l’élégante balustrade qui couronne l’une des tours, et joncha le parvis de fragmens de sculptures. Est-ce dans le même espoir ou par un odieux sentiment de vengeance que les assiégeans canonnaient quelques jours plus tard la façade monumentale de l’hôtel de ville ? Que de mutilations ont été ainsi accomplies de sang-froid pendant cette guerre, sans produire d’autres résultats que d’irriter les courages, d’exaspérer la résistance et de laisser dans les cœurs des germes de haine ineffaçables ! La Prusse ne se justifiera pas d’avoir détruit sans nécessité, sans l’ombre d’un profit pour sa cause, tant de vies innocentes et déshonoré tant de monumens. Les ruines qu’elle a semées sur son passage n’ont servi qu’à prouver le néant de ses prétentions civilisatrices et le mensonge de sa philosophie humanitaire. Autrefois, les actes de destruction n’étaient qu’un accident ; on les attribuait aux emportemens de la lutte, à la brutalité du soldat. En 1870, la destruction est devenue systématique ; on a détruit avec méthode pour semer la terreur et hâter la victoire. Est-ce là ce qu’on appelle en Allemagne travailler au progrès des idées et régénérer les peuples ? Dieu préserve le reste de l’Europe d’être civilisé à ce prix, et de connaître les bienfaits de la mission providentielle que s’attribuent les Allemands !

Le siège de Toul durait depuis quarante jours ; sur ce point unique les communications rapides étaient interrompues entre l’Allemagne et les troupes qui commençaient à investir Paris. Pressé d’en finir, de prendre possession de la ligne principale du chemin de fer de l’Est, pour accélérer le transport des munitions, de l’artillerie, des réserves, le roi de Prusse ordonna au grand-duc de