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d’ailleurs avec la confiance naturelle aux Français l’annonce de quelque victoire. Cette illusion dura peu ; dès le 2 septembre, un jeune convoyeur qui rentrait à Verdun après avoir accompagné l’armée française annonçait le désastre de Sedan. On refusait d’y croire, tant la nouvelle paraissait terrible et invraisemblable, lorsqu’un parlementaire allemand la confirma en venant proposer au commandant supérieur de la place les conditions toutes préparées d’une capitulation que le gouvernement prussien considérait comme inévitable. Nos ennemis ne perdaient pas de temps ; après avoir pris notre armée, ils espéraient du même coup faire tomber nos places fortes par la simple annonce de nos revers. Un vigoureux officier d’Afrique, le général Marmier, frère du célèbre voyageur, qui commandait Verdun pendant une maladie du général Guérin de Waldersbach, refusa énergiquement de se rendre. Les jours suivans arrivèrent en grand nombre aux portes de la ville des prisonniers français qui s’étaient évadés sous la blouse du paysan des Ardennes. Plus de 2,000 hommes, parmi lesquels on comptait heureusement des artilleurs, vinrent ainsi renforcer la garnison.

Aussitôt les travaux de défense furent activement poussés, on établit des blindages au-dessus des pièces de rempart, on fit des terrassemens, on rasa les maisons d’un florissant faubourg afin de dégager les abords de la place. On connaissait les points faibles de l’enceinte, et l’on craignait toujours quelque surprise nocturne. Ce fut même, dit-on, le principal souci du commandant en chef. Il s’attendit pendant longtemps à une attaque de vive force et ne négligea rien pour la repousser. On ne savait point alors à Verdun, plus tard on ne sut pas davantage à Paris, que tant de précautions ne sont pas nécessaires à l’intérieur des villes, que l’Allemagne ne monte point à l’assaut, et qu’au lieu d’exposer ses soldats dans des combats meurtriers, elle se borne à bombarder les maisons et les remparts sans se piquer de la vaine gloire de paraître sur la brèche.

En attendant que le bombardement commençât, les Prussiens accomplissaient au mois d’octobre un exploit non moins glorieux. Ils n’admettaient point, on le sait, qu’il fût permis à la population civile de défendre sa patrie et ses foyers ; ils punissaient de mort toute tentative de résistance, et au besoin même la moindre participation des habitans aux événemens de la guerre. Un notable du village de Charny, à 9 kilomètres de Verdun, en fit la cruelle expérience. Son seul crime était d’avoir prêté ou laissé prendre son cheval pour qu’on allât demander main-forte à la garnison de la place contre une cantinière et des soldats prussiens qui dévastaient le moulin de Charny. Il est vrai que trois jours après, dans ce même village, deux officiers de dragons allemands, attablés dans une maison, avaient été surpris et tués par des francs-tireurs.