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reusement invétérée en France. Cette maladie, pour l’appeler par son nom, c’est l’amour de la phrase, le fanatisme de la déclamation.

On fait de la politique avec des mots retentissans et vides, c’est là encore un de nos fléaux. Pourvu qu’on puisse mettre au bout d’une période les « solutions radicales, » les institutions de la démocratie, le progrès social, les aspirations du peuple, la vraie république, — celle qui est au-dessus du suffrage universel, qui a hérité du droit divin, — on croit avoir tout dit. L’amour de la phrase, ah ! il n’a pas été emporté dans nos désastres, il survit à tout, il s’épanouit glorieux, content de lui-même, chez M. Victor Hugo, le pontife d’une certaine phraséologie démocratique, humanitaire et ambitieuse. M. Victor Hugo, qui s’est promis de rentrer prochainement dans sa solitude et dans son silence, a voulu avant de s’éclipser dire son mot sur nos destinées, et il a écrit depuis quelques jours plusieurs lettres qui sont la quintessence du radicalisme romantique. L’auteur des Orientales et des Châtimens a un malheur : au milieu de circonstances cruellement sérieuses, il ne sait pas rester sérieux, et il risquerait de nous rendre ridicules aux yeux du monde entier, si l’on nous jugeait d’après son éloquence. Nous rendons justice à M. Victor Hugo : il est d’avis, lui aussi, que nous devons nous efforcer de relever la France. Seulement c’est ici que commence la difficulté : d’abord ce n’est pas pour la France elle-même qu’il veut relever la France, c’est pour l’Allemagne « esclave, » c’est pour le monde ; puis quels moyens entend-il employer ? — « Comment s’y prendre ? Qu’y a-t-il à faire ? Cela est difficile, mais simple. Il faut faire jaillir l’étincelle, d’où ? de l’âme du peuple ! »

Fort bien, ce n’est pas plus difficile que cela ; nous sommes maintenant fixés, nous pouvons marcher et nous reconnaître dans ce dédale d’éloquence où se passent tant de choses prodigieuses, « le droit et la loi coulant en sens contraire, le droit allant vers l’avenir, la loi allant vers le passé,… les problèmes qui sont les ténèbres se heurtant aux expédiens qui sont la noirceur, » les questions permanentes s’ajoutant aux questions momentanées. Que de travaux à poursuivre : la victoire définitive de la république, qui est la mère, sur les erreurs possibles du suffrage universel, qui est le fils, la dissolution de l’assemblée, l’enquête sur les faits de mars « et aussi sur les faits de mai et de juin, » l’amnistie surtout, « l’amnistie tout de suite, l’amnistie avant tout ! » Du reste, pour qu’on ne s’y méprenne pas, l’auteur a le soin d’ajouter que l’amnistie est pour ceux qui la donnent autant que pour ceux qui la reçoivent. « Elle a cela d’admirable qu’elle fait grâce des deux côtés. » Tout est pour le mieux, c’est une réconciliation universelle, le baiser Lamourette des criminels et des juges. On ne peut pas trop s’étonner de cette philosophie du droit et de la politique, lorsqu’on voit M. Hugo résumer à sa façon la philosophie de l’histoire en appelant la révolution