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après les journées de juin 1848. Veut-on prouver que les pouvoirs publics ont eu tort de ne point agir cette fois de la même façon, que le respect de toutes les garanties est une naïveté ou une faiblesse, que l’impunité est un droit quand le châtiment s’est fait attendre ? On en viendrait tout simplement ainsi à justifier les répressions sommaires et instantanées.

Le malheur de ces polémiques qui vivent de bruits, de rumeurs et de déclamations, c’est qu’elles déplacent ou enveniment toutes les questions ; elles détournent les esprits de ce qui est le plus essentiel, elles créent ou elles entretiennent dans certaines sphères une espèce d’agitation factice qui n’est inoffensive que parce que le pays après tout reste indifférent à un genre de politique où il ne trouve absolument rien qui réponde à ses besoins, à ses instincts du moment. Qu’y a-t-il donc au fond de tout cela ? Il y a deux choses qui sont vraiment deux fléaux en France. Il y a d’abord l’esprit de parti, qui est implacable, qui ne s’inquiète ni de la vérité, ni de la justice, ni de l’intérêt national, pourvu qu’il arrive à se satisfaire lui-même, qui est toujours prêt à s’emparer de toutes les occasions et de tous les prétextes, qu’il s’agisse d’une crise intempestive d’élections à provoquer, d’une violation de la loi à encourager, d’une amnistie à réclamer. L’esprit de parti, dans son égoïste préoccupation, ne voit qu’une chose à travers tout, son propre triomphe, sa propre domination ; il veut régner, le pays lui appartient, et, tant qu’il n’a pas mis la main sur le pouvoir, il ne songe qu’à rendre la tâche laborieuse ou impossible aux autres. Les bonapartistes, en semant l’incertitude, en relevant le drapeau compromis du plébiscite, espèrent arriver à la résurrection de l’empire, et cela leur suffit. Les radicaux, en s’efforçant de leur côté d’entraîner ou d’affaiblir le régime actuel, espèrent arriver à la république radicale, et cela leur suffit, à eux aussi. Tout le reste, ce qui intéresse le pays, viendra sans doute par surcroît aussitôt que les uns ou les autres auront triomphé ! Toutes les questions seront apparemment résolues, on aura congédié définitivement l’étranger, on aura payé ses dettes, on aura retrouvé des alliances au dehors, le travail, le crédit, l’ordre moral et matériel à l’intérieur. Un trait de ressemblance entre les bonapartistes et les radicaux d’aujourd’hui, c’est que les uns et les autres en vérité parlent avec une imperturbable assurance, comme si rien ne s’était passé, comme s’ils n’avaient rien à faire oublier. L’impérialisme parle de ses succès, de sa popularité et des « dix-sept années de prospérité qui n’ont pas été sans gloire, » même après Sedan. Le radicalisme ne doute pas de sa propre infaillibilité, même après la commune, il ne se trouble pas pour si peu. Ne nous y méprenons pas, dans les polémiques où l’esprit de parti se déploie avec toute son âpreté, il y a une autre maladie qui a une apparence plus inoffensive et qui n’est peut-être pas moins dangereuse, qui est malheu-