Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/520

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remplaçant M. Reverchon, qui avait noblement refusé de soutenir une cause que sa conscience condamnait, et qui n’hésita pas à faire à ses convictions le généreux sacrifice de sa carrière. Le rapport fut présenté par M. Cornudet, conseiller d’état. Les princes d’Orléans avaient pour avocats MM. Mathieu Bodet et Paul Fabre, qui réclamèrent l’annulation de l’arrêté de conflit dans des plaidoiries dignes de la cause confiée à leurs talens éprouvés. Vains efforts! le conseil d’état rendit le 19 juin un arrêt déclarant le décret du 22 janvier 1852 indiscutable par-devant la justice ordinaire à cause de la nature du pouvoir dictatorial d’où il procède, et annulant en conséquence, avec tous les actes de la procédure relatifs aux biens de la donation du 7 août 1830, le jugement du tribunal civil de la Seine du 25 avril 1852. Remarquons toutefois, à l’honneur de la section du contentieux, que sans la voix de M. Baroche, exceptionnellement venu pour la présider, le décret n’aurait pas eu la majorité : les votes s’étaient également partagés huit contre huit; or, en l’absence de M. Baroche, M. Maillard aurait présidé, et sa voix, contraire au décret, en eût entraîné le rejet. Le jugement plut, mais les juges déplurent; aussi les marques du mécontentement suprême ne se firent pas attendre. Le président Maillard, qui avait voté contre le décret, fut contraint de donner sa démission; M. Cornudet, rapporteur, dont les conclusions avaient été contraires, fut destitué. Nous avons dit déjà que M. Reverchon avait mérité d’avance cette noble disgrâce en refusant d’accepter les conclusions favorables qu’on voulait lui imposer.

Tous ces procédés d’un arbitraire sans limite comme la dictature qui l’exerçait, ces atteintes à la liberté individuelle, cette compression absolue de la presse sous toutes les formes, cette dépossession de la justice de droit commun, ces destitutions des juges amovibles du conseil d’état, condamnèrent le pays par la contrainte du silence aux semblans d’une sorte de respect pour le décret de confiscation. Cependant la passion du repos qui entraînait la France vers une réaction aveugle contre la liberté n’empêchait pas les révoltes secrètes d’une foule de consciences, et, si chez un trop grand nombre le courage n’allait pas jusqu’au blâme à haute voix, beaucoup du moins manifestaient la plus vive répugnance à prendre leur part de cette spoliation d’une « admirable famille où, suivant une expression célèbre, toutes les filles étaient chastes et tous les fils étaient vaillans[1]. » Chaque jour apportait au gouvernement la manifestation de ce sentiment : tantôt c’était un évêque parlant

  1. Plaidoyer de M. Dufaure défendant M. de Montalembert devant la cour impériale, 21 décembre 1858.