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teur a prononcé l’arrêt sans appel dont nous avons rédigé les considérans.

Combien serait à plaindre tout homme qui, en lisant cet admirable anathème contre l’arbitraire, la violence et la ruse, ne se sentirait pas ému, convaincu jusqu’au fond de l’âme; mais combien serait plus à plaindre encore tout citoyen qui ne se sentirait pas saisi d’une amère tristesse en songeant que de telles choses ont été possibles dans son pays, et que les coupables pratiques qui en assuraient le succès n’ont rencontré dans les consciences affaiblies que la réprobation du silence! Au corps législatif, quand M. de Montalembert faisait entendre ces paroles si justement sévères, un murmure approbateur courait sur presque tous les bancs, et au moment où il s’écriait en finissant : « Je souhaite que ces grandes vérités éternellement vraies ébranlent et éclairent vos consciences, comme elles ont éclairé et affermi la mienne, » l’assemblée presque entière répondit, comme malgré elle, à cet appel par son émotion et son assentiment. Le fond des consciences remontait à la surface au souffle puissant d’une parole honnête; mais le lendemain, quand un ordre d’en haut retranche audacieusement du compte-rendu de l’assemblée les paroles, le nom même de l’orateur, que M. Billault n’avait pu faire taire malgré tous ses efforts, aucune réclamation ne se fait entendre, la liberté de la parole ne trouve pas un seul avocat, et la vente des propriétés pas un contradicteur. On gémit, mais on vote.

Quelques esprits moins faciles font parvenir leurs doléances aux membres du corps législatif. — Que voulez-vous? répondent-ils, nous sommes les représentans du peuple; or le peuple veut le repos à tout prix, il entend se livrer tout entier aux soins de ses intérêts matériels, compromis par les agitations de la liberté; on lui a dit qu’il devait au système parlementaire les révolutions dont il a souffert, et il le croit. D’ailleurs ne l’avez-vous pas livré vous-mêmes aux séductions de la légende napoléonienne que vous avez fait pénétrer partout par vos chansons, par vos écrits, par vos monumens, par l’espèce de culte officiel dont vous l’avez entourée? — Aveugles qu’ils étaient, ils ne voyaient pas que ce repos acheté si cher n’était qu’à la surface, et qu’ils ne faisaient que préparer les désordres de l’avenir en matérialisant les passions humaines au lieu de leur donner un généreux essor! Ils ne comprenaient pas que plus tard ce matérialisme se retournerait contre eux, et qu’en même temps, par la force des choses, le régime impérial deviendrait de plus en plus le gouvernement des appétits excités ou satisfaits et des spéculations téméraires. Ils ne prévoyaient pas enfin que Napoléon III tomberait moins peut-être sous le poids des fautes que lui imposait fatalement sa légende que par l’absence d’un contrôle indépendant