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Aujourd’hui, malheureusement pour lui, le peuple ne demande plus le mot d’ordre aux classes éclairées. Si les universités en Allemagne étendent leur influence sur les destinées publiques, ce n’est plus en qualité de directrices des masses populaires, ni comme puissances d’opposition; elles forment au XIXe siècle la seconde aristocratie du pays, unie à la première par des vues et des prétentions communes, par les nombreux souvenirs d’une éducation fraternelle. Ce grand fait peut étonner en France, où pareil rôle n’a jamais été celui des universités. Si on recherche à quelles circonstances est due cette exception enviable, il faut en faire honneur au bon esprit de l’aristocratie féodale, qui depuis longtemps s’impose le devoir de faire passer tous ses membres par la série des filières universitaires. L’aristocratie anglaise tient ses rangs ouverts aux grandes individualités qui d’en bas peuvent s’élever jusqu’à elle; par un procédé inverse, mais conduisant à des résultats du même ordre et peut-être plus efficaces, la noblesse allemande ne dédaigne pas, avant de les appeler aux emplois, d’exiger de ses membres les fortes épreuves du doctorat. Nous avons éprouvé, dans le cours de cette cruelle année, les effets de cette libérale méthode. L’université siège donc à tous les étages dans les gouvernemens de l’empire. La force qu’elle tire de cette situation peut bien ne pas être inférieure à celle que lui apportait au XVIe siècle le concours des basses classes.

On ne peut nier cependant que, parmi les motifs qui poussent les Allemands à la révolte religieuse, il ne s’en trouve qui dérivent de ce besoin d’indépendance spirituelle dont ils se font gloire : toutes les indépendances se tiennent, et le suprême libre arbitre dont jouissent chez eux les universités laïques ne pouvait qu’être une contagion pour les facultés théologiques; mais le véritable sentiment qui pourra réunir toutes les classes, toutes les croyances dans une action commune contre Rome, est celui de la nationalité, caractère que l’on saura donner à cette entreprise en l’appuyant sur l’antagonisme de race. La génération allemande moderne a été élevée dans l’horreur des races latines, de leurs idées, de leurs productions. Sous la plume des écrivains officiels, l’histoire des nations européennes n’est plus qu’une introduction à celle de la Prusse, c’est une seconde édition des Gesta Dei per Francos, où les Francs sont remplacés par les Prussiens. Les troupes des anciens margraves de Brandebourg y sont indiquées de bien loin comme destinées à rétablir l’ordre en Europe. Chacun sait que cet ordre est essentiellement troublé par les Gaulois, débris d’une race inférieure, déjà déchue au temps de Tacite...

On comprend donc avec quelle facilité la presse quotidienne.