Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/565

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bras sous celui du chasseur. — Madame de Linthal, sans doute? dit le colonel, et, s’inclinant aussitôt : — J’ai l’honneur de vous présenter M. de Selligny et son régiment, un pauvre régiment de mobiles qui arrive d’Artenay.

— Ah ! ces grands coups de canon que ce matin?...

— C’est nous, madame, qui les avons reçus, et c’est pourquoi nous ne sommes pas tous ici... Le régiment a fait son devoir; mais il a fallu céder au nombre...

— Comme toujours!... Et vous battez en retraite?

— J’ai mis la Loire entre les Prussiens et moi... Je vais dans la Nièvre pour donner à mon régiment quelques jours de repos dont il a grand besoin... Mes hommes ont de dix à douze lieues dans les jambes, et voilà quinze heures qu’ils n’ont mangé.

— Alors vous vous arrêtez à Villeberquier?

— Certainement... ce village n’a pas l’air bien riche...

— Un village de Sologne !

— On y trouvera cependant de la paille et des granges pour dormir?... En se serrant un peu, il y aura place pour tout le monde, n’est-ce pas? Et puis il me faut encore deux ou trois vaches pour faire la soupe. Tout sera payé. Mes mobiles sont des agneaux, et ils se sont bien battus,... il faut donc les bien recevoir. S’ils gênent un peu, songez qu’ils ont beaucoup souffert... Vous donnerez place au feu et à la chandelle à ces braves gens. Si les boulangers ont besoin de bons bras pour cuire le pain, mes hommes leur en fourniront.

Ce petit discours, qui s’adressait aux bonnes gens rangés autour du colonel, fut favorablement accueilli. Au murmure d’approbation qui s’éleva, il comprit que chacun ferait de son mieux pour bien recevoir ces voyageurs malheureux que la fortune de la guerre leur envoyait.

— Soyez tranquille, colonel, répliqua M. de Linthal, vous ne manquerez de rien, ni vous, ni le régiment. D’abord, vous et l’état-major, vous êtes mes hôtes, et, quoiqu’en temps de guerre, ma femme nous donnera bien à dîner.

— Et ceux qui viendront chez nous dîneront tout de même ! s’écria un charron qui écoutait, son tablier de cuir au flanc et les mains sur les hanches.

— Oui! oui! répondit tout le monde.

Cinq minutes après, le village avait adopté le régiment. L’assemblée ne devait sonner qu’à neuf heures, on avait la soirée, la nuit, presque la matinée du lendemain pour reposer les membres endoloris. Tandis que le maire, un peu ahuri, et qui ne s’était jamais trouvé à pareille fête, courait à la mairie, où avec l’aide de l’instituteur il préparait les billets de logement, les paysans s’empa-