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— Demain?... bientôt?

— Voilà malheureusement ce qu’il ignore!

On frappait à la porte, et Jean parut. — Madame, dit-il, c’est M. le curé.

— Ah ! je sais, répliqua la baronne,... c’est pour me mettre en règle... On ne sait pas ce qui peut arriver;... ce sera l’affaire de quelques minutes.

La baronne était sortie avant que Madeleine eût répondu. La soirée s’acheva tristement; on avait le cœur fatigué non moins que le corps, on tressaillait au moindre bruit. N’était-ce pas des coups de fusil qu’on entendait au loin? Ne serait-on pas réveillé en sursaut par l’arrivée d’une troupe d’éclaireurs? et que deviendrait-on, si un combat se livrait dans les bois voisins? Une lassitude extrême ferma cependant les yeux de tout le monde. Madeleine seule, retirée dans sa petite chambre, ne dormit pas; elle avait devant les yeux l’image de Paul, et croyait sentir sous ses mains l’astrakan soyeux de sa pelisse.

Au petit jour, un grand tapage réveilla la maison; on pouvait croire que Villeberquier recevait l’assaut d’une bande de diables déchaînés. Le comte de Linthal et ses gardes coururent : c’était presque cela. Une troupe de francs-tireurs avait envahi le village et demandait à boire à tous les bouchons; il y avait une trentaine d’hommes qui criaient comme cent. Le plumage valait le langage; ce n’était que chapeaux pointus ornés de rubans comme ceux des brigands traditionnels de la Calabre, feutres mous, gris ou noirs, chamarrés de pompons, vestes bleues ou vertes, avec ou sans brandebourgs, tuniques et vareuses, blouses, pantalons de toute nuance, guêtres et bottes molles, cartouchières et gibernes, pistolets à la ceinture et poignards tombant sur la cuisse. Ce carnaval militaire avait pour couronnement une escouade de quatre grands drôles couleur d’azur qu’on aurait pu croire échappés d’un opéra-comique. Leur capitaine avait la mine éveillée d’un jeune chat; on le reconnaissait à trois galons d’or cousus sur la manche de son veston et à un sifflet d’argent qui pendait sur sa poitrine au bout d’une chaînette d’acier. Ils avaient beau crier qu’ils étaient Français et qu’ils étaient là pour défendre Villeberquier, le village tout entier tremblait à la vue de ses défenseurs; mais ces tapageurs avaient plus de vantardise que de méchanceté. Quelques bonnes paroles arrosées de quelques bouteilles de vin offertes autour d’un déjeuner copieux en vinrent à bout sans trop de peine. La bande s’était montée en Bourgogne, elle comptait donc quelques Bourguignons dans ses rangs; mais on y découvrait aussi des échantillons de toutes les races françaises, des Francs-Comtois, des Auvergnats, deux Normands, un Provençal, qui portait les galons de