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sergent, et même des Parisiens, qu’à leur accent on reconnaissait tout de suite. La troupe du capitaine Ferrand guerroyait au hasard, un peu partout, vivant à la diable et touchant la solde à la caisse du premier intendant qu’elle rencontrait. Bons garçons au demeurant, surtout quand ils avaient la bouche pleine, ils ne demandaient qu’à faire ce qu’on voulait ; à l’occasion même, ils se battaient et bravement contre les Prussiens. Provisoirement ils ne savaient pas où ils allaient. Leur intention était de partir au plus vite; M. de Linthal n’insista point pour les retenir. Trente hommes n’étaient pas une garnison à soutenir un siège, et il n’en fallait pas plus pour faire brûler le village. La baronne, qui allait à la messe tous les jours depuis qu’on lui avait parlé des uhlans, les regardait du coin de l’œil au sortir de l’église, et déclarait qu’elle ne se rendrait plus en promenade dans le parc aussi longtemps qu’ils resteraient dans les environs. Elle en avait surpris trois qui portaient des lapins au bout de leurs fusils, et des soldats en tel équipage ne la rassuraient que médiocrement.

Le village avait un peu la fièvre, on était perpétuellement sur le qui-vive; quiconque traversait Villeberquier, fermier, marchand, voyageur, était questionné, et des groupes se formaient au seuil des auberges. Des bruits circulaient : un jour c’était une armée d’Espagnols qui venait de débarquer à Bordeaux; une autre fois, c’était le général Garibaldi qui était entré à Lyon à la tête de cent mille Italiens. Cependant on s’inquiétait surtout de ce qui se passait à Orléans et à Gien. On faisait des récits qui troublaient toutes les cervelles; le pays n’était plus sûr, on avait vu des uhlans du côté de Souvigny et des dragons bleus sur la route de Saint-Florent. Les réquisitions de ces partis de cavalerie vidaient les fermes. Les habitans de Villeberquier en perdaient le boire et le manger; la garde nationale avait beau manœuvrer avec ses vingt-quatre fusils, les filles de l’endroit n’osaient plus s’aventurer loin du village. Une dépêche du maire de Sully-sur-Loire annonça officiellement qu’une reconnaissance de hussards de la mort lui avait rendu visite. La terreur fut à son comble; on avait l’ennemi à sept ou huit kilomètres.

Trois ou quatre jours après l’apparition de Paul, un matin, par un ciel clair et vif et un soleil brillant, Villeberquier fut envahi soudain par un corps d’armée. Si une première fois les boutiques et les cabarets s’étaient vidés à la vue des mobiles, ce jour-là on accourut des champs pour assister à ce spectacle éblouissant. On vit d’abord un escadron de chasseurs, puis deux, puis trois, puis quatre, tout un régiment, le sabre au flanc, le mousqueton sur la cuisse, puis encore un régiment de ligne, et derrière un bataillon d’infanterie de marine. Il y avait aussi une compagnie de turcos et une batterie d’artillerie, et en queue le brave régiment de mobiles qu’on avait