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existence aisée. Ne vous hâtez pas de me dire : non. Je ne vous demande que de me permettre de revenir, la guerre finie, et de vous rappeler cet entretien. Alors je serai ce que vous voudrez,... votre mari ou votre ami.

Madeleine était fort embarrassée. Elle ne s’était pas attendue au tour qu’avait pris la conversation. Dès les premiers mots, un trouble singulier ne lui avait pas permis d’interrompre M. de La Vernelle; puis l’air de son visage et l’accent de sa voix avaient dissipé le premier mouvement de colère qui l’avait saisie. Elle y sentait la vérité, et cela la troublait.

Un domestique entra juste à point pour la tirer d’embarras. — Mademoiselle, dit cet homme, il y a là une espèce de petit berger qui ne veut parler qu’à vous.

— Qu’il entre! dit-elle vivement.

Presque aussitôt elle vit apparaître un jeune gars de quatorze ou quinze ans, leste et bien découplé, et dont l’air de franchise et de résolution plaisait à première vue. Il leva sur elle ses yeux brillans, et ôtant son chapeau : — C’est-il bien vous qui êtes Mlle Madeleine du château de Villeberquier? dit-il. Le village, j’y suis venu déjà, je le connais; mais vous, je ne sais pas...

— C’est bien moi. Qu’est-ce que je puis faire pour toi, mon enfant?

— Pour moi, rien, si ce n’est de me donner le temps de souffler tout à l’heure. Je suis venu d’un bon pas, allez, et par le plus court. C’est un bout de papier qu’on m’a confié pour vous en me recommandant de ne le remettre qu’à vous-même.

— Un bout de papier, dis-tu?

— Attendez ! je l’ai caché en cas d’aventure. Il y a tant de cavaliers qui battent les chemins dans ces temps de malheurs. Si l’on m’avait arrêté, bernique! rien dans les mains, rien dans les poches.

Tout en parlant, l’enfant défaisait un gros ourlet de son pantalon de bure, et en tirait un petit papier plié en quatre. Madeleine le suivait des yeux attentivement ; elle avait complètement oublié M. de La Vernelle, qui, lui aussi, ne perdait pas un des mouvemens du petit pâtre.

Quand elle eut le papier entre ses mains, elle devint pourpre et l’ouvrit; il n’y avait que quelques mots tracés au crayon. » Me soyez pas inquiète,... je vis... On ne m’aura pas... J’ai mis quatre jours à passer... et deux à revenir... Vous aurez de mes nouvelles bientôt... Depuis que je vous ai vue, tout m’est facile. — P. de S. »

D’un geste vif, Madeleine, qui ne se connaissait plus, porta le papier à ses lèvres; l’endroit, le berger, M. de La Vernelle, elle avait tout oublié. Sans l’arracher à son émotion, M. de La Vernelle