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un premier vestige. Cette partie, c’est la vessie natatoire. La vessie natatoire des poissons[1], qui serait plus justement nommée sac à air, est sujette à de grandes variations de forme ; elle disparaît même chez beaucoup d’espèces, et n’est pas par conséquent nécessaire à la vie des poissons ; mais, quand elle existe, elle remplit le rôle d’un poumon amoindri, elle contient des gaz et surtout de l’oxygène, que l’animal absorbe ou retient à volonté. Enfin, chez certains poissons dont la structure ambiguë rappelle les types des époques anciennes, la vessie natatoire, que l’on croyait d’abord destinée uniquement à faciliter la natation en augmentant ou diminuant le poids spécifique, se rapproche d’un véritable poumon, et fournit des passages curieux vers ce dernier organe.

II.

Nous venons de puiser dans l’ordre actuel une de ces particularités organiques par lesquelles la vie semble nous instruire de ses procédés d’autrefois. Or, de même que des poumons à l’état d’ébauche coexistent déjà avec les branchies dans certains poissons, de même chez certains batraciens (les tritons) l’appareil branchial persiste encore à côté de véritables poumons. Le passage des animaux sans poumons à ceux qui en sont pourvus s’opère aussi bien par les batraciens inférieurs que par les poissons eux-mêmes, et les classes tendent ainsi à se rejoindre ; ce qui ne veut pas dire pourtant qu’à l’aide des batraciens les moins élevés on aboutisse à de vrais poissons : trop de distance sépare encore les premiers des derniers à d’autres points de vue ; mais on arrive en suivant cette direction à des êtres purement aquatiques comme les poissons et à peu près du même rang.

D’après ce que nous venons de dire, il ne faut pas s’étonner de rencontrer chez les plus anciens vertébrés terrestres des traits d’affinité évidens avec les batraciens d’une part et de l’autre avec les poissons, tandis que ces êtres primitifs présentent en même temps un ensemble de caractères qui engagent à les considérer comme des reptiles, mais des reptiles entachés d’ambiguïté et d’imperfection, qui en un mot, sans être encore tout à fait membres de cette classe, tendaient à le devenir. « Cette marche, dit-on, qui est familière à la vie, ne prouve pas en définitive la filiation réciproque des espèces. » Il est parfaitement vrai que le fait même de cette filiation échappe à l’analyse, et l’impossibilité de le saisir n’a rien de surprenant par elle-même, puisqu’il embrasse un temps d’une

  1. Voyez Darwin, de l’Origine des espèces, passim ; — Émile Blanchard, les Poissons des eaux douces de la France, p. 94.