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nombreuses traces. Les dolichosaures, moitié lézards, moitié serpens, marquent le moment où ceux-ci ont commencé à se détacher du tronc commun des lacertiens ; plus loin en arrière les lacertiens se perdent comme ordre distinct, et l’on observe des types qui joignent les lézards aux iguanes et les monitors aux crocodiles. Les crocodiles eux-mêmes modifient leurs caractères ostéologiques pour en revêtir d’autres, que l’on n’observe maintenant chez eux que dans la vie fœtale. Les labyrinthodontes enfin se rapprochaient des batraciens et même des poissons. Cette famille de reptiles est à la fois une des plus anciennes, une des plus singulières et une des plus ambiguës du monde primitif. Sa grande taille, l’armure de plaques osseuses qui recouvrait son corps, sa tête cuirassée, empêchent de reconnaître de vrais batraciens dans les animaux qu’elle comprenait. Les labyrinthodontes respiraient par des poumons, au moins à l’âge adulte, ils marchaient sur le sol, enfin ils succédaient, comme nous le verrons, à d’autres reptiles qui avaient des habitudes plus aquatiques. Ils représentent probablement un état particulier que la classe entière des reptiles a dû traverser autrefois avant de devenir terrestre. Cela ne prouve pas que les reptiles aboutissent originairement aux batraciens proprement dits, mais l’on peut affirmer qu’ils ont dû émerger d’une souche typique opérant, à l’exemple des batraciens, le passage d’une organisation purement aquatique à une organisation terrestre.

Dans ces sortes d’appréciations rétrospectives, on est malheureusement forcé de faire abstraction des parties molles et surtout des organes circulatoires, dont l’étude guiderait si bien l’analogie. L’expérience prouve cependant que l’ostéologie, bien que ses ressources soient restreintes, fournit une base solide sur laquelle la science peut s’appuyer en toute sûreté. D’ailleurs la paléontologie use de tous les moyens susceptibles de la mener à ses fins, même des plus indirects en apparence. C’est ainsi que, à propos des labyrinthodontes, elle s’est attachée à l’examen des empreintes de pas que ces animaux laissèrent jadis en marchant sur la vase molle des plages qu’ils fréquentaient. Il est assez singulier que ces empreintes se rapportent généralement à une même période géologique, celle du trias. En Saxe, à Lodève dans l’Hérault, en Écosse, dans le Connecticut et le New-Jersey en Amérique, des empreintes variées de pas d’animaux ont été observées par divers savans et rapportées par eux à l’une des subdivisions du trias, celle du grés bigarré. La présence de ces vestiges sur un assez grand nombre de points contemporains ferait supposer que la surface continentale a dû être configurée partout à cette époque de manière à favoriser la répétition des mêmes scènes et la production du même phénomène. Il suffit effectivement d’admettre l’existence d’une suite de mers intérieures,