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sans doute à l’ombre épaisse des forêts de l’âge des houilles : les uns pénétraient dans l’intérieur des vieux troncs pour les ronger, les autres s’insinuaient dans les fentes pour rechercher les parties moelleuses et féculentes, ou se cachaient dans les amas détritiques qui devaient abonder. C’est là peut-être que leurs races ont contracté, il y a des millions d’années, par un long séjour dans l’obscurité des bois, sous un ciel bas et voilé, les habitudes nocturnes qui les distinguent encore ; mais à côté d’eux les sauterelles et les libellules traversaient l’air librement, les premières s’attaquant aux feuilles des fougères, les autres poursuivant une proie vivante : de là les principales scènes animées et probablement les seuls cris et les rares bourdonnemens qui troublaient le silence de cette nature primitive.

Au sein d’immenses tourbières, la végétation inaugurait alors l’éclat de sa jeune et déjà merveilleuse beauté. Son caractère était la profusion plutôt que la richesse, la vigueur plutôt que la variété, l’originalité plutôt que la grâce. Les formes se superposaient, se mêlaient, se croisaient avec une énergie quelque peu désordonnée que faisait encore ressortir la régularité singulière avec laquelle étaient disposés les tiges, les rameaux et les feuilles. En pénétrant dans ces forêts, le regard n’aurait rencontré ni dômes de verdure, ni masses de feuillage, ni espaces vides entremêlés d’épais taillis, ni même des fourrés interminables comme ceux des jongles de l’Inde qui servent aux tigres de lieu de refuge inaccessible. C’était une association de grandes et élégantes fougères au-dessus desquelles se dressaient en colonnes des troncs nus, couverts d’une écorce partagée en une multitude d’écussons saillans ; la cime seule de ces végétaux était couronnée d’un feuillage menu, raide et piquant, qui garnissait l’extrémité des dernières ramifications. Il n’existait chez les arbres d’alors, moins puissans que ceux de nos forêts, que deux sortes de port. Les uns présentaient, comme les dragonniers et certains palmiers actuels, un ensemble de bifurcations successives, c’étaient les lépidendrons ; les autres, et parmi eux il faut citer les calamites, groupaient régulièrement de distance en distance autour de la branche principale leurs rameaux secondaires avec les ramules et les feuilles. La variété même n’avait accès chez ces végétaux qu’à l’aide d’une répétition monotone de la même ordonnance. Les mêmes perspectives se reproduisaient invariablement sur tous les points, et il aurait suffi de visiter un coin de ces tourbières, auxquelles nous devons la houille, pour connaître à fond ce qu’elles étaient partout ailleurs. Quelques rares reptiles perdus au sein de certaines mares, un très petit nombre de coquilles terrestres, habitaient ces profondes solitudes ; les insectes seuls s’y