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L’enchaînement des situations est si manifeste qu’on peut difficilement comprendre quel serait le prétendant qui oserait assumer la responsabilité d’une pareille aventure. La France est donc tenue de conserver la république, sous peine de s’exposer à des crises et à des catastrophes plus terribles encore que celles qu’elle vient de traverser. Il y a plus, toutes les puissances qui désirent le maintien de la paix, ne fût-ce que pendant quelques années, doivent souhaiter qu’il ne soit pas fait en France de tentative de restauration monarchique. Il est donc de l’intérêt du peuple français et de l’Europe tout entière que l’on puisse trouver le moyen de donner dans ce pays au régime républicain l’esprit de suite et de sagesse dont il a besoin pour durer. Si la France parvenait à implanter chez elle des institutions libres dans le genre de celles qui assurent aux États-Unis une si étonnante prospérité, ce serait une revanche glorieuse, sûre, à laquelle l’humanité applaudirait, qui donnerait au peuple français en Europe une puissance, une influence plus grandes et plus bienfaisantes surtout que celles qu’il a eues sous Louis XIV et sous Napoléon Ier.


I

Le premier point à examiner concerne la base même de l’édifice politique, la source actuelle de tous les pouvoirs, le suffrage universel. Quand on a appelé au scrutin tous les Français sans distinction, sans condition, sans préparation, on a commis une faute dont on subit aujourd’hui les désastreuses conséquences, et que regrettent surtout, assure-t-on, ceux qui en ont été les auteurs. C’est le suffrage universel qui, malgré les résistances des gens éclairés, prévoyans et moraux, a porté au trône l’homme qui avait fait les expéditions de Strasbourg et de Boulogne, et qui devait faire avec le même laisser-aller et le même aveuglement les deux guerres non moins insensées du Mexique et du Rhin.

On est épouvanté quand on songe de quel abîme de préjugés, de superstitions, d’animosités, de ténèbres, doit sortir le verdict qui périodiquement décide des destinées d’un grand pays comme la France. Il paraît qu’aujourd’hui une partie des radicaux voudraient restreindre le suffrage, tandis que les conservateurs tiennent à le garder tel qu’il est. Erreur de tactique des deux côtés ! Le suffrage universel est l’arme naturelle de la démocratie, et tôt ou tard il se tournera contre le parti conservateur, qui croit pouvoir compter maintenant sur lui. L’histoire de toutes les démocraties prouve que les masses finissent toujours par se servir de leur vote pour frapper les riches au profit de ceux qui ne le sont pas.