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des malheurs nationaux, voilà bien, si nous ne nous trompons, quelques-uns des traits essentiels et généraux d’un programme qui s’impose à tous, à l’assemblée, au gouvernement, à tous ceux qui tiennent une plume ou qui ont une action par la parole. Cependant ce programme n’est rien, si l’on n’en vient pas à l’aborder dans ce qu’il a de substantiel et de pratique, et avant tout il y aurait certes à oublier beaucoup, à se défaire de bien des habitudes funestes, à redevenir sérieux et sévères comme les circonstances mêmes dans lesquelles nous vivons, à répudier les déclamations et les préoccupations de partis. Oui, avant tout, il y aurait à s’occuper de la France pour la France elle-même, et à commencer par se dire qu’on aurait déjà fait quelque chose pour le pays en évitant tout ce qui est inutile ou dangereux, tout ce qui ne peut avoir d’autre effet que de jeter des complications factices de plus dans une situation déjà bien assez compliquée.

L’esprit de conduite, le sentiment viril des choses, la haine des excitations ou des inutilités périlleuses, c’est là ce qui devrait dominer, et c’est là malheureusement ce qui ne domine pas toujours. On dirait quelquefois en vérité, à certains symptômes, que nous n’avons pas pu arriver encore à nous avouer les cruels changemens qui se sont accomplis, que nous ne pouvons nous décider à entrer en quelque sorte dans notre vraie situation. On dirait que rien ne s’est passé, que nous avons fait tout au plus un mauvais rêve, et qu’il n’y a qu’à revenir à nos goûts, à nos habitudes, à nos jeux d’esprit, à nos luttes désastreuses d’autrefois. Les vieilles polémiques recommencent, déployant ce qu’elles ont de plus suranné et de plus violent. On ne néglige rien pour réveiller les curiosités malsaines par des récits de toute sorte qui seront démentis le lendemain. Jamais le commerce des inventions et des fables n’a été plus actif. Il faut à tout prix imaginer une histoire pour chaque jour et ajouter à l’inépuisable chapitre des informations de haut goût. On organise des fusions et des confusions, ou bien l’on met la diplomatie en mouvement ; on fait voyager le pape, et on divulgue les plans les plus secrets de M. de Bismarck, qui va nous rendre Metz pour acheter la neu tralité de la France dans la guerre qu’il médite contre la Russie ! On discute à perte de vue sur la république et la monarchie, sur le provisoire et le définitif, sur la dissolution de l’assemblée et le plébiscite, sur la prochaine restauration impériale ou sur le prochain avènement du radicalisme, sur l’amnistie et le droit de punir. On finit par créer une sorte d’atmosphère artificielle où les esprits s’étourdissent, où le sens de la réalité s’émousse, et pendant que tous les matins on se livre à ces oiseux passe-temps, le fait, le fait cruel et brutal, le voilà : à trente lieues de Paris, pas plus loin que cela, à Épernay, il y a des Français qui vivent sous le sabre prussien, et pour que ces Français puissent sortir de leurs maisons à huit heures du soir, pour qu’ils puissent se livrer