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du 14 juillet, ont adopté, et que la comtesse d’Eu vient de promulguer à la date du 28 septembre 1871.

Certes il est glorieux de voir un souverain, un gouvernement, une assemblée, sanctionner ensemble une grande mesure d’humanité malgré la résistance des intérêts contraires ; il est si rare de contempler ici-bas un progrès pacifique de la justice accompli par la force de l’opinion, une action évidente de la religion chrétienne sur la loi opérée par la discussion, que tous les hommes de cœur doivent applaudir à cette loi nouvelle, en remercier les auteurs, et s’associer à la joie des Brésiliens, qui ont couvert de fleurs la tribune de l’assemblée après le vote de cet acte mémorable. Toutefois ne laissons pas aux défenseurs incorrigibles de l’esclavage le droit de dire que l’ordre social et l’agriculture sont mis en péril ; ne laissons pas non plus aux approbateurs un peu trop optimistes de la loi du 28 septembre l’illusion de croire que tout est fait, que l’esclavage est réellement aboli, et que le régime nouveau concilie merveilleusement les intérêts de la propriété et les principes de la justice. l’Anglo-Brazilian Times du 3 octobre appelle la loi la grande charte de la liberté ; c’est beaucoup dire. Il était impossible de demeurer dans l’état actuel, mais on n’en est sorti qu’à moitié. La loi nouvelle était nécessaire, mais elle est incomplète et inconséquente, voilà la vérité, et nous ne sommes pas surpris des réclamations de l’Anti-slavery society de Londres, composée des plus anciens avocats des pauvres esclaves, trop expérimentés pour se payer de promesses et de mesures incomplètes. Remercions ceux qui ont soulevé à demi un poids séculaire de barbarie, et hâtons-nous de leur demander d’aller plus loin, de leur prédire que, s’ils n’y sont pas disposés, ils y seront contraints. Grâce à Dieu, la justice longtemps violée, dès qu’elle est reconnue, s’impose comme la logique, et les sociétés sont forcées d’en satisfaire jusqu’au bout les nobles exigences.

Le régime social et économique flétri, frappé, à moitié détruit par la loi actuelle, est jugé par les dispositions mêmes de cette loi ; il n’est pas un article qui, en prescrivant une réforme, ne constate un abominable abus. L’opinion européenne sera stupéfaite d’apprendre qu’une loi ait été nécessaire en 1871 pour ordonner ou pour interdire au Brésil des choses que la plus simple morale impose dans tous les pays civilisés. Ainsi l’article 8 prescrit le recensement de tous les esclaves sous peine d’amende contre les maîtres qui dissimulent par fraude leur existence ou la naissance de leurs enfans, et contre les curés qui omettraient de tenir note de la naissance ou de la mort des personnes de condition servile. Donc on laissait presque partout naître ou mourir ces malheureux, comme les chevaux ou les bœufs, sans prendre la peine de constater qu’ils entraient en ce monde ou qu’ils en sortaient. — L’article 4, § VII, défend de séparer par une vente le mari de la femme ou les enfans au--