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scientifique de l’univers. Les étrangers venaient s’y instruire, s’y former ou compléter des travaux commencés dans leur pays. Tout cela n’est plus qu’un souvenir; nous ne tenons plus la tête de la glorieuse phalange des explorateurs de la nature. Les Anglais et les Allemands nous ont devancés : ils sont entrés dans une voie nouvelle, nous suivons les routes anciennes. Nous ne sommes plus les initiateurs, les pionniers de la science; d’autres nous ont remplacés. Cette déchéance tient à plusieurs causes. La première, c’est le manque des ressources matérielles sans lesquelles tout travail en physique, en chimie, en géologie, en botanique, en zoologie, est radicalement impossible. Or, tandis qu’en Allemagne la sollicitude des gouvernemens et des municipalités a sans cesse encouragé les travaux des professeurs et des étudians de ses nombreuses universités, l’état en France a été ouvertement indifférent ou hostile : indifférent par ignorance, hostile avec l’idée préconçue que les sciences positives ébranlent la religion dominante, dont l’esprit autoritaire était considéré comme favorable au maintien des pouvoirs politiques. Les Allemands sont donc scientifiquement mieux armés, mieux outillés que nous. Comme sur le champ de bataille, ils nous ont vaincus par le nombre, la supériorité de l’organisation et une instruction sinon plus profonde, du moins plus générale. Comment les savans français, beaucoup moins nombreux que les savans allemands, pourraient-ils lutter contre eux dans des conditions semblables? Ce n’est ni l’intelligence, ni l’ardeur qui nous font défaut, car, malgré notre infériorité numérique, nous luttons encore, et dans un passé bien récent les Allemands ne sauraient nous opposer des noms comparables à ceux des génies qui ont ouvert les voies où ils marchent aujourd’hui. Toutefois l’infériorité actuelle est évidente; il serait puéril et dangereux de le nier. Que l’état et les municipalités se concertent pour relever, fortifier et améliorer nos établissemens scientifiques, que le savant laborieux soit encouragé, et les choses changeront bien vite de face, à deux conditions cependant : la première, c’est que nous acquérions un des instrumens les plus indispensables du travail intellectuel, la connaissance des langues étrangères. Presque tous les savans allemands sont en état de lire un livre français ou anglais, la plupart écrivent et parlent ces deux langues de manière à correspondre avec leurs coreligionnaires scientifiques. En France, c’est le contraire : beaucoup d’hommes, d’ailleurs très instruits, sont incapables de prendre connaissance, au moment où ils sont publiés, des travaux qui les intéressent le plus, de ceux qui ont trait à leurs propres recherches. Pour être informés, ils réclament et attendent une traduction. C’est une lacune déplorable dans notre éducation; elle a pour cause une autre infirmité nationale, l’esprit casanier. Le Français reste en