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fession, Goethe a prévu quel serait le caractère de l’évolution future des sciences, dont il eût hâté les progrès, si les lettres n’avaient pas absorbé toutes les forces de son puissant génie.

Parmi les précurseurs de l’histoire naturelle moderne, nous devons citer encore deux hommes qui lui ont ouvert des horizons nouveaux. L’un est de Baer, le créateur de l’embryologie. En suivant pas à pas l’évolution des animaux, il montra qu’ils traversent des phases diverses dans le sein maternel, et gravissent peu à peu les échelons de la série des êtres en partant d’un degré inférieur à celui sur lequel ils se trouveront placés au moment de leur naissance. L’autre initiateur est Louis Agassiz, né en Suisse, actuellement professeur à Boston[1]. Agrandissant et fécondant les résultats de Baer, il prouva que le développement paléontologique est comparable au développement embryonnaire. Si l’être vivant s’élève de plusieurs échelons dans la série actuelle, les animaux fossiles ont suivi une route parallèle. Les plus anciens ont une organisation plus simple que celle des plus récens, et représentent une des phases de l’état embryonnaire de ces derniers. Cette vérité, établie par Agassiz, a éclairé plus que toute autre l’histoire de la création et préparé les généralisations qui permettent d’en concevoir l’ensemble. L’espace me manque pour citer encore d’autres savans dont les travaux ont contribué à l’avènement de la science actuelle, sans qu’ils fussent néanmoins les précurseurs du messie que le lecteur a déjà nommé, Charles Darwin[2].

Je ne traiterai pas spécialement de l’origine de l’homme; on s’en est assez occupé, la passion s’en est mêlée, la théologie est intervenue dans cette question brûlante, et une appréciation équitable est devenue bien difficile. Je me bornerai donc à exposer l’état de nos connaissances actuelles sur la création des êtres organisés en général, en prenant pour guide l’excellent ouvrage du professeur Haeckel, d’Iéna, intitulé Histoire naturelle de la création[3]. Simple interprète, je ne juge pas, j’expose, et souvent même je traduis. C’est le tableau abrégé des travaux récens de Darwin, Wallace, Huxley, Carpenter, Haeckel et Joseph Hooker, résumés dans cet ouvrage, que je désira mettre sous les yeux du lecteur. Pourquoi, parmi ces noms illustres, n’ai-je pas la satisfaction de citer un seul nom français? Je ne puis en taire la raison, dussé-je froisser quelques susceptibilités et offenser l’amour-propre national.

Il y a quarante ans, les maîtres incontestés dans les sciences physiques ou naturelles appartenaient presque tous à la France. Le muséum d’histoire naturelle de Paris était le premier établissement

  1. Voyez sur Agassiz une étude de M. Laugel, Revue du 1er septembre 1857.
  2. A. Laugel, Darwin et ses critiques, — Revue du 1er mars 1868.
  3. Naturliche Schoepfungs-Geschichte, 1 vol. in-8o, 1870.