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més qu’en 1470 avec ce qu’on avait dès lors retrouvé de l’œuvre de Tacite. Notre reconnaissance doit placer à côté l’un de l’autre les noms inégaux des deux hommes qui ont le plus contribué à sauver ces derniers débris. À travers les fragmens de correspondances que nous avons invoqués, il semble bien que ce soit le Pogge, peut-être animé déjà par la découverte d’une partie des Annales et des Histoires, qui ait le premier pressenti et poursuivi la conquête nouvelle. Enoch, élève de ce Philelphe qui était le grand ennemi du Pogge, Enoch, contre lequel nous avons vu certaines expressions de défiance, paraîtrait, si nous pouvions interpréter sûrement nos insuffisans témoignages, n’avoir été qu’un chargé d’affaires, habile peut-être à faire aboutir à son heure et à son profit l’enquête préparée par un autre ; mais qui pourra jamais reconstruire ces luttes acharnées des humanistes du XVe siècle, où de mauvais sentimens, tels que l’orgueil, la cupidité, l’envie, se rencontraient à côté de nobles passions, comme l’amour de la science et le respect de l’antiquité ? Ces disputes et ces longs combats pour la recherche des anciens manuscrits nous intéressent, parce que nous y retrouvons la trace de généreuses ardeurs, parce que, en nous les rappelant, nous avons sans cesse devant les yeux cette pensée qu’un heureux effort de plus nous aurait peut-être singulièrement enrichis, qu’une heureuse chance de moins en ces temps critiques nous aurait infligé de bien cruels désastres. C’était le patrimoine intellectuel et moral de l’humanité qu’il s’agissait de disputer aux étreintes du néant, déjà en partie victorieuses.

On a dit plus haut que le manuscrit rapporté d’Allemagne par Enoch s’était perdu bientôt sans doute, ne laissant nulle autre trace que la copie heureusement faite par Jovianus Pontanus, et conservée de nos jours à Leyde. De cette copie dérivent tous les manuscrits de la Germanie que l’on possède actuellement. M. L. Tross en a le premier montré la valeur et l’a publiée en 1841. Qu’on y ajoute quelques-unes des transcriptions ultérieures, dont les auteurs auront pu bien interpréter certaines incertitudes imparfaitement résolues par Pontanus, et l’on aura tous les élémens qui peuvent servir à établir le texte de la Germanie. Nous verrons certaines difficultés de ce texte porter précisément sur des noms de divinités germaniques dans les intéressantes pages que Tacite a consacrées à l’examen du système religieux des barbares. Il faut essayer de se rendre compte d’abord du génie religieux, puis des germes d’institutions qu’a entrevus Tacite, et retrouver, s’il est possible, à travers la mêlée des transformations modernes, quelque chose de ces signes distinctifs de la race.


A. Geffroy.