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serve sa popularité, s’il maintient l’ordre matériel, il risque de compromettre l’ordre moral et la grande discipline des idées. C’est ce que nous avons vu durant quelques années, dans une mesure que l’on a exagérée quand on a dit que l’empire et son chef étaient socialistes, mais qui a suffi pour entretenir parmi les catégories de citoyens récemment appelés à l’action politique des prétentions excessives et une ambition déréglée. L’empire a contenu les entreprises révolutionnaires des socialistes; il n’a point arrêté, il a plutôt laissé se développer, à l’ombre du suffrage universel, le progrès de leurs doctrines.

D’un autre côté, n’ayant pour lutter que des armes fort inégales, une partie des adversaires de l’empire s’inclinaient avec une égale indulgence devant les passions du suffrage universel. Les uns recherchaient, les autres subissaient le concours du parti socialiste, qu’ils eussent combattu énergiquement, s’ils avaient tenu le pouvoir ou s’ils avaient eu l’espoir d’y atteindre. C’était surtout à Paris et dans les grandes villes, au milieu des populations ouvrières, qu’ils s’adressaient à des électeurs tout imprégnés déjà des doctrines socialistes. Enfin, s’il était rationnel et nécessaire que, sous le régime du suffrage universel, toutes les pensées, tous les travaux eussent pour objectif l’intérêt du peuple, il est permis de dire que, dans les divers partis, la recherche de la popularité a produit les plus regrettables écarts. C’était à qui ferait le plus bas la cour aux ouvriers. On leur parlait sans cesse de leurs droits, rarement de leurs devoirs; on écartait de leurs regards les vérités rigoureuses de l’expérience et de la science; on leur répétait, dans des discours passionnés ou dans des livres éloquens, les sophismes de l’école révolutionnaire. Les problèmes si importans qui se rattachent à la question du travail étaient habilement accommodés aux goûts et aux illusions de ceux que l’on prétendait instruire et dont on voulait conquérir les votes. Des esprits éminens se laissaient entraîner dans l’ardeur de la lutte et sous le charme de la popularité qui ne manque jamais à de pareilles thèses. On pourrait, si la tâche n’était pas trop ingrate, relever dans les proclamations et dans les décrets de la commune bon nombre d’idées et même de phrases empruntées à des orateurs ou à des écrivains qui repoussent aujourd’hui avec la plus vive indignation les doctrines comme les œuvres du socialisme. Il en est qui ont déjà demandé pardon à Dieu et aux hommes. Pendant ce temps-là, les socialistes écoutaient, applaudissaient et retenaient. Laissant la gloire aux prédicateurs, ils gardaient le profit pour leur église, qui recrutait chaque jour dans les ateliers de nombreux prosélytes. Que l’on ajoute à cela les excitations des clubs, rouverts sous le titre légal de réu-