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sensé. L’éducation universelle est donc la condition du suffrage universel. Comment la république se maintiendrait-elle, si elle a pour base l’ignorance et l’immoralité? Les citoyens peuvent être tour à tour jurés, témoins, magistrats municipaux, soldats; pour remplir convenablement toutes ces fonctions civiques, une certaine instruction est nécessaire, non pour l’individu seulement, mais pour la marche régulière des institutions libres. L’instruction de tous les citoyens étant donc nécessaire au salut de l’état, c’est l’état qui doit y pourvoir, car l’expérience a démontré d’une manière irréfutable que les efforts individuels, même soutenus par le sentiment religieux ou philanthropique, ne peuvent y suffire.

Toutefois, si l’état est tenu d’organiser l’enseignement, doit-il l’offrir aussi gratuitement à tous? Ici l’unanimité cessait en Amérique. La plupart des états avaient admis, à l’imitation du Massachusetts, la gratuité absolue; mais un petit nombre d’entre eux, le grand état de New-York par exemple, exigeaient une rétribution scolaire des familles aisées. Cependant, depuis la guerre civile, le généreux emportement qui a poussé l’Amérique à redoubler d’efforts pour répandre l’enseignement a fait introduire partout la gratuité. New-York, le Connecticut, le Michigan et New-Jersey ont successivement supprimé les rate-bills ou écolage. La réforme a été saluée avec enthousiasme, et on peut dire aujourd’hui que la gratuité complète est devenue un principe américain. On n’a adopté ce système qu’après de longues et ardentes discussions, et après que l’expérience en eut démontré les avantages. À cette heure, il ne rencontre plus d’adversaires. A New-York, les résultats de la gratuité ont été merveilleux. Dès la première année qui a suivi la réforme, il y a eu 26,000 élèves de plus dans les écoles. L’attachement du peuple pour le service scolaire a augmenté, il y a consacré par son libre vote des sommes sans cesse croissantes ; on paie mieux les instituteurs, on bâtit de nouvelles et meilleures écoles, on développe l’enseignement normal ; même dans les états où l’esclavage a été aboli, et qui traversent ainsi une crise sociale terrible, beaucoup a été fait pour l’instruction. Pour ne citer que deux exemples, la Virginie occidentale a inauguré le système de la gratuité au milieu des horreurs de la guerre civile, et depuis la paix, malgré les ruines publiques et privées, elle a consacré 5 millions de francs à bâtir des écoles. Le Tennessee autrefois ne faisait rien pour l’enseignement; instruire les noirs était un crime, et les blancs devaient pourvoir eux-mêmes à l’instruction de leurs enfans. Une loi de 1867 a déclaré l’enseignement gratuit, et a décidé que des écoles seraient ouvertes au moyen des taxes spéciales levées partie par l’état, partie par les communes. Dès l’automne de 1869 le