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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/91

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états du Languedoc avaient administré les intérêts généraux de cette province. Ce serait l’assemblée régionale qui aurait à approuver toutes les décisions communales qui maintenant vont s’instruire au centre. Le contrôle serait ainsi plus rapide et plus sérieux. Il faut voir avec quelle inattention absolue l’assemblée nationale ratifie les emprunts votés par les villes pour comprendre combien cette formalité est illusoire. Les conseillers provinciaux sauraient au moins ce dont il s’agit. M. Jacini a publié pour l’Italie un projet de décentralisation régionale qui en grande partie pourrait s’appliquer aussi à la France. En ranimant les différens foyers de la vie politique en province, on ramènerait l’activité aux extrémités, qui sont froides, et on dégagerait la capitale, qui est sujette à des attaques d’apoplexie périodique.

On reprochera peut-être à ce système de porter atteinte à l’unité nationale dont la France s’est montrée toujours si jalouse ; mais ce danger n’existe pas, l’expérience l’a démontré. L’Espagne, la Hollande, la Belgique, ont respecté l’existence de leurs anciennes provinces, et l’unité de l’état n’en a nullement souffert. Les provinces prussiennes, avec leur administration et leur corps d’armée distincts, leurs institutions civiles souvent différentes, forment presque autant de cantons séparés, et pourtant dans aucun pays les forces de la nation ne sont plus entièrement à la disposition du pouvoir central. L’unité dans deux ou trois grands services publics, l’armée et l’enseignement surtout, suffit pour assurer l’unité de l’état, dont le sentiment patriotique forme l’indestructible ciment. Ç’a été une des erreurs de la révolution de croire qu’on fortifie le sentiment national en déracinant les coutumes locales et en proscrivant les traditions et les institutions provinciales[1]. Le citoyen aimera d’autant plus sa patrie qu’elle lui assurera plus complètement la jouissance de son autonomie locale. Le Suisse n’est si bon patriote que parce que la confédération respecte et garantit sa langue, ses droits, son caractère particulier. Qu’on essaie d’établir l’uniformité, et le faisceau des cantons unis se brisera sous l’effort des résistances

  1. Il est bon de rappeler à ce sujet les fortes paroles de Benjamin Constant dans son livre sur l’Esprit de conquête. « L’attachement aux coutumes locales tient à tous les sentimens désintéressés, nobles et pieux. Quelle politique déplorable que celle qui en fait de la rébellion ! Qu’arrive-t-il ? Que, dans tous les états où l’on détruit ainsi toute vie partielle, un petit état se forme au centre ; dans la capitale s’agglomèrent tous les intérêts, là vont s’agiter toutes les ambitions : le reste est immobile. Les individus, perdus dans un isolement contre nature, étrangers au lieu de leur naissance, sans contact avec le passé, ne vivant que dans un présent rapide et jetés comme des atomes sur une plaine immense et nivelée, se détachent d’une patrie qu’ils n’aperçoivent nulle part et dont l’ensemble leur devient indifférent, parce que leur affection ne peut se reposer sur aucune de ses parties. »