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Pour fonder la liberté, il faut d’abord réduire les attributions du pouvoir souverain en constituant des autorités indépendantes qui puissent faire obstacle à ses entreprises ; il faut en second lieu soustraire au pouvoir central la direction suprême des intérêts locaux. On l’a dit avec raison, les institutions locales sont l’école primaire de la liberté ; c’est dans les assemblées provinciales que les citoyens apprendront à comprendre à quel point la bonne gestion des affaires publiques importe à leurs intérêts privés. L’assemblée nationale agit trop loin d’eux, et l’effet de ses résolutions est trop difficile à démêler. Le self-government local est pour un peuple la meilleure des éducations politiques. Avec l’unité absolue qui règne en France, la même agitation envahit le pays entier et met tout en danger. Tous ont la fièvre en même temps. Ni contre un despote, ni contre une révolution, il n’y a de refuge nulle part. Avec les autonomies locales, il n’en est pas de même. Chaque province a ses crises particulières qui ne se communiquent pas aux autres. C’est ainsi que la Suisse et les États-Unis résistent aux orages de la démocratie. Une république unitaire y succomberait bientôt.

Les autonomies locales sont l’accompagnement obligé du régime parlementaire. Sans elles, ce régime ne produit que d’assez médiocres résultats ; il donne même lieu à un mal politique spécial que les hommes d’état italiens ont étudié dans leur pays avec cette perspicacité qui les distingue. Le parlement, ayant trop d’affaires à régler, les règle mal ; l’enchevêtrement, l’opposition des intérêts amène des crises ministérielles incessantes qui réduisent le gouvernement à l’impuissance. Les travaux publics donnent naissance à une corruption politique d’une espèce nouvelle, d’où résulte un mauvais emploi des deniers de l’état. Pour s’assurer les suffrages de tel district ou de telle localité, on lui accorde un port, un chemin de fer, une église, un canal. Les autres districts réclament à leur tour ; ainsi des travaux très peu nécessaires absorbent des sommes énormes, et le budget est mis en coupe réglée. Le gouvernement se fait des travaux publics, distribués comme des faveurs, un moyen d’influence presque irrésistible dans les luttes électorales. Cela n’a pas eu lieu en France seulement, mais en Italie, en Belgique et dans tous les pays où le régime parlementaire s’est trouvé combiné avec la centralisation administrative. Sans doute il est certains travaux, embrassant le pays tout entier, qui ne peuvent être bien conduits que du centre ; mais ce devrait être l’exception, et tous les autres devraient être exécutés par les provinces ou les communes intéressées. Les assemblées régionales posséderaient toute aptitude à cet égard ; elles seraient plus économes et seraient plus de connaissance des besoins locaux. Tocqueville a montré de quelle admirable façon les