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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/928

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toutes celles que pourraient encore trouver des législateurs animés du désir de ramener le système fiscal à plus d’unité, d’équité et d’économie. Ce travail d’ensemble peut être accompli sans apporter un grand trouble dans les intérêts et dans les habitudes, du moment qu’on écarte les théories radicales de l’impôt progressif et de l’impôt unique. Faut-il rappeler qu’à ces momens de rénovation économique, comme il en apparaît plus d’un dans l’histoire, l’ancien régime a su accomplir des œuvres plus difficiles et d’une bien autre portée ? Ce souffle réformateur a-t-il totalement disparu ? Le défaut de largeur et de suite doit-il s’établir à demeure dans toutes nos conceptions politiques, civiles, administratives ? Toute vitalité féconde est-elle enfin éteinte ? Les assemblées, dont on ne Saurait contester le mérite et le rôle indispensable comme contrôle financier, seraient-elles incapables de s’élever à une certaine hardiesse d’idées et de plans, plus voisine en certains cas de la sagesse que de la témérité ? Si ce défaut d’ensemble et de grandes vues doit continuer à se faire sentir, si, en matière de finances, la politique d’expédiens est destinée à prévaloir, si on juge qu’elle est la seule que la France soit en état de supporter, eh bien ! faisons notre sacrifice, acceptons temporairement des impôts imparfaits ; payons, sans trop regarder aux voies et moyens, deux fois, trois fois pour le même objet s’il le faut ; ajournons le progrès. Toutefois cela est-il aussi nécessaire qu’on a l’air de le croire ? Ne pourrait-on dès à présent procéder à d’intelligentes retouches qui, en perfectionnant notre système fiscal, donneraient au nouvel impôt une sorte d’autorité et de consécration morale qui ne pourrait qu’en assurer le succès ? Qu’on prenne l’un ou l’autre parti, et les motifs de préférer le second nous paraissent des plus décisifs, nous n’avons que trop lieu de méditer ces nobles lignes du rapport empreintes d’une fermeté comme d’une tristesse patriotiques : « Des réformes profondes sont indispensables, et c’est d’en haut que doivent partir les exemples. La France se remettra avec le temps des épreuves qu’elle subit, mail à la condition de n’oublier un seul instant ni ce que lui coûtent ses malheurs ni ce qu’exige d’elle le soin de les réparer. Au lendemain d’un tel ébranlement, le peuple qui n’en garderait souvenir que comme d’un mauvais rêve, qui, au milieu de tant de ruines, chercherait à s’étourdir et croirait pouvoir mener la vie de la veille sans un retour sur lui-même, sans un changement, sans une privation, ce peuple mériterait de perdre à toujours son rang dans le monde. »


HENRI BAUDRILLART.